La justice transitionnelle comme moyen de réaffirmer les droits des peuples autochtones ?

Des conflits armés affectent les peuples autochtones partout dans le monde avec de graves conséquences : déplacements forcés, viols et violences sexuelles et de genre, recrutements forcés d’enfants, exécutions extrajudiciaires etc. Face aux conflits armés qui affectent leurs territoires, au Bangladesh, au Burundi, en Centrafrique, en Colombie, au Guatemala, en Inde, au Mali, au Pérou, aux Philippines, au Myanmar, quel que soit le degrés de participation de groupes et d’individus autochtones au sein de ces conflits, les peuples autochtones sont victimes dans leur ensemble de massacres perpétrés par l’armée régulière ou par des groupes armés rebelles. Les conflits armés entraînent par ailleurs des dommages environnementaux sur les territoires occupés par des peuples autochtones, alors même que ces derniers entretiennent un lien avec leur territoire fondamental pour leur survie culturelle, et que l’on estime que 80% de la biodiversité mondiale est située sur leurs territoires.

Une participation des peuples autochtones aux processus de paix et de justice transitionnelle à échelle variable. Cependant, en l’absence de participation des peuples autochtones aux mécanismes de justice transitionnelle mis en place pour favoriser l’accès à la vérité, à la justice et à la réparation des victimes, l’impact de ces conflits sur les populations autochtones demeure non documenté, souvent nié ou encore parfois caché. S’il est par exemple estimé que 30% des Batwa du Rwanda, qui représentent à peine 1% de la population rwandaise, sont décédés ou ont été tués pendant le génocide et la guerre au Rwanda, leur situation a été ignorée par la plupart des commentateurs du génocide et de la guerre au Rwanda. Au-delà d’une vérité biaisée sur la situation des peuples autochtones pendant ces conflits, l’absence de participation des peuples autochtones aux processus de justice transitionnelle est un obstacle à la mise en place d’une justice, de mesures de réparation et de garanties de non-répétition qui correspondent aux demandes des peuples autochtones. Dans ce contexte, envisager la Paix durable et la réconciliation relève de l’impossible.

Une autre perspective est illustrée par la prise en compte des peuples autochtones de Colombie dans le processus de paix et de justice transitionnelle en cours. Dans le cas colombien, les représentants autochtones et afro-colombiens se sont mobilisés pendant les négociations de paix de manière à faire valoir leur droit internationalement reconnu à disposer de leurs propres institutions et systèmes de justice. Ils ont ainsi réussi à instaurer des mécanismes de justice transitionnelle interculturels, qui tiennent compte des besoins de justice spécifiques à leurs peuples d’origine et aux dommages historiques. En conséquence, les procès doivent être culturellement adaptés dès lors que les auteurs présumés des crimes appartiennent à un peuple autochtone ; les mesures de réparation doivent être consultées avec les victimes autochtones, de manière à être construites par le bas plutôt qu’imposées selon des critères venus d’autres cultures juridiques.

Une justice transitionnelle orientée vers l’objectif de la Paix avec la Terre. Nous observerons en outre de quelle manière la participation de leaders autochtones ouvre la voie à une justice transitionnelle orientée vers l’objectif de paix avec la Terre. Selon les cosmovisions de plusieurs peuples autochtones, comme le peuple Nasa de la cordillère des Andes colombiennes, tant que les territoires sont désharmonisés du fait des conflits armés, les communautés humaines et non-humaines qui les habitent ne peuvent retrouver la paix. Ainsi, dans le cas colombien, la participation de représentants des peuples Wayuu, Arhuaco, Kankuamo et Totoró dans la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a mis sur le devant de la scène le fait que le territoire aussi était victime du conflit armé. C’est une approche holistique des dommages qui est alors prise en compte, dans la mesure où sont prises en compte, par exemple non seulement les pollutions des eaux provoquées par les bombardements, mais aussi les dégâts spirituels causés à la Terre Mère. Les sanctions et les réparations de cette cour innovante de justice transitionnelle, pensées de manière à restaurer le lien de communautés avec la terre, sont particulièrement inspirantes.

La justice transitionnelle, un outil de restauration des droits territoriaux des peuples autochtones ? Dès lors, il convient de se demander comment la justice transitionnelle est un outil de restauration des droits territoriaux des peuples autochtones et un vecteur d’évolutions normatives concernant la nature comme sujet de droit. Le concept de « paix avec la Terre » porté par les membres de la Chaire Normandie pour la Paix trouve ainsi à se renforcer grâce à l’immixtion des justices autochtones dans la justice transitionnelle.

Interprétation : Aude Mousset et Elise de Battisti

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