Une sculpture-manifeste : la boussole des possibles
Le professeur Mireille Delmas-Marty fait partie du Collège des Pionniers de la Chaire d’excellence Normandie pour la paix. Professeure émérite au Collège de France, membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), elle nous adresse le message et la vidéo qui suivent pour vous présenter l’article intitulé « adapter l’ordre juridique à l’ère de l’anthropocène ».
Il aura suffi d’un simple virus, bien plus léger qu’une aile de papillon, pour faire trembler le monde, au point d’ébranler nos certitudes et celle de nos dirigeants, rappelés à la finitude de l’humaine condition. Tout se passe comme si la pandémie du covid-19 était un signal lancé à notre humanité mondialisée pour lui offrir, après les nombreux rapports du GIEC sur le changement climatique, une dernière chance pour prendre conscience de sa communauté de destin.
Pour saisir cette chance – et transformer la mondialisation sauvage en une « mondialité » apaisée 2 -, il faudra une boussole. Mais où placer le pôle aimanté dans ce monde où chacun se dit « déboussolé » ? ll y a longtemps déjà que le pôle Nord s’est fixé à l’Ouest, croyant concilier l’esprit des droits de l’homme et la logique des marchés. Porté par les récits du Tout Marché et plus récemment du Tout numérique, le dogme de la croissance devait faire alliance avec les droits de l’homme pour légitimer une « mondialisation heureuse ». Il fallut vite déchanter devant les inégalités croissantes et le retour au dogme souverainiste, réactivé par le terrorisme puis par la pandémie. Simultanément, le changement climatique démontrait les limites de l’anthropocentrisme de nos valeurs éthiques. Et voici que le récit des Nouvelles routes de la soie pourrait accélérer le passage du pôle nord à l’Est, dans cet Empire Monde où les Classiques chinois situaient déjà, il y a plus de deux mille ans, la vocation universaliste à régner sur le tianxia (« tout ce qui est sous le ciel »). Enfin que se passera- t-il au Sud ?
J’ai donc entrepris d’installer avec un plasticien-bâtisseur, Antonio Benincà, une sculpture-manifeste nommée « boussole des possibles » 3 qui ne privilégie aucun pôle. Partant, comme les autres boussoles, d’une rose des vents, notre boussole, d’abord inscrite dans le sol 4 , s’élève en une sorte de ronde aérienne qui donne à voir les tensions aggravées par la mondialisation : sécurité/liberté, compétition/coopération, exclusion/intégration, innovation/conservation. Pour éviter que les sociétés tournent en rond comme des girouettes au gré des vents, nous avons imaginé que cette boussole inhabituelle serait aimantée vers un centre octogonal où pourraient se rencontrer les principes régulateurs d’une bonne gouvernance mondiale, inspirés par la « spirale des humanismes ».
« Tout se passe comme si, en se mondialisant, les sociétés avaient perdu le Nord. Les inégalités ont augmenté en même temps que la croissance et les tensions se sont renforcées avec la lutte contre le terrorisme et le changement climatique. Il y a des années que nous observons le grand désordre d’un monde pris dans les tourbillons de vents contraires : sécurité/liberté, compétition/coopération, innovation/conservation, ou exclusion/intégration. Mais la pandémie du Covid-19 a créé un effet de loupe. Un pays comme la France, qui naguère interdisait le port du voile au nom du « vivre ensemble », rend maintenant le port du masque sanitaire obligatoire au nom de la sécurité, en passe de devenir le premier des droits. Dans un tel contexte, où trouver une boussole ? ».
Le professeur Delmas-Marty vous propose de découvrir une vidéo qui vous présente le prototype de la boussole des possibles. Car elle a travaillé avec le sculpteur Antonio Benincà à la transposition de sa pensée en « sculpture-manifeste ».
Cette œuvre, à la fois objet en mouvement et manifeste citoyen, peut inspirer plusieurs initiatives : pédagogiques, en ouvrant des ateliers « Fabriques-moi une boussole » en direction des jeunes; civiques et éthiques avec des « Conversations autour d’une boussole des possibles », assemblant des citoyens pour débattre notamment de futurs principes de bonne gouvernance à l‘échelle du monde. Elle pourrait même devenir un instrument d’évaluation des politiques publiques, comme le suggère le Rapport d’Anne Jacod pour le Ministère de la Transition Écologique qui qualifie notre boussole « d’expérimentation inspirante » (voir l’extrait en annexe 1 ).
Articles publiés dans des journaux de presse par Mireille DELMAS-MARTY sur la paix avec la Terre :
- « Vivre ensemble dans un monde déboussolé », AOC media – Analyse Opinion Critique, le 23 septembre 2020.
- « Gouverner la mondialisation par le droit », Revue européenne du droit, septembre 2020, n°1 (La compliance, une idée européenne ?), pp.6-11. • « Someter la globalización a reglas del Derecho », El País, 2020.
- « Governing Globalization through Law”, European Journal of Risk Regulation (Cambridge University Press), volume 11, numéro spécial « Taming COVID-19 by regulation », juin 2020, pp.195-201.
- « Profitons de la pandémie pour faire la paix avec la terre », Le Monde, 18 mars 2020.
- Le changement climatique : une chance pour l’humanité ? Texte de la communication au Colloque de l’Académie des sciences « Face au changement climatique, le champ des possibles », les 28 et 29 janvier 2020.
- Conclusion du cycle III de conférences de l’Institut « Mondialisation et humanisme : les destins possibles de l’humanité », lundi 27 janvier 2020
- « Dans la spirale des humanismes », conversation avec Olivier Abel dans Le Grand Continent, 16 janvier 2021, « In the spiral of humanisms », Revue européenne du droit, mars 2021.
- Pour un crime international d’écocide, version française de « El Derecho de la “casa común”», intervention prononcée à la Conférence de Madrid sur les changements climatiques (COP 25) le 4 décembre 2019.