Retour sur le 2ème webinaire du 1er juin 2023 – Droit à l’autodétermination et droits fondamentaux
Le 1er juin 2023 s’est tenu de 16h20 à 20h, le deuxième webinaire du cycle consacré au droit à l’autodétermination des peuples autochtones – Perspectives et pratiques 100 ans après Deskaheh.
Celui-ci a été introduit par les deux porteurs du projet :
- Leslie Cloud, responsable de la ligne peuples autochtones de la Chaire Normandie pour la Paix, a tout d’abord rappelé la finalité du cycle et la nécessité de rendre hommage à l’histoire de Deskaheh. Alors qu’il se rendit en 1923 à Genève devant la Société des Nations pour y faire reconnaître son peuple comme nation souveraine à égalité avec les autres États, les portes restèrent closes, ce qui constitua une véritable trahison du droit international à l’égard des peuples autochtones. Isabelle Schulte-Tenckhoff était revenue, à l’occasion du 1er webinaire, sur cet épisode malheureux. Dans le prolongement de cette conférence introductive, trois interventions, dont la vidéo et le résumé sont disponibles sur le site de la Chaire Normandie pour la paix, ont été réalisées dans ce premier webinaire sur les liens entre droit à l’autodétermination et relations entre Nations à l’aune des traités conclus avec les peuples autochtones. Elle a ensuite rappelé que les revendications portées par Deskaheh sont encore celles de nombreux autochtones, comme le lui a exprimé récemment un grand leader aymara, Tomas Condori. Elle a ensuite partagé plusieurs informations liées à l’actualité du droit à l’autodétermination et des commémorations de la venue de Deskaheh à Genève il y a cent ans:
- les événements organisés cette année par la ville de Genève,
- la rediffusion de la présentation qu’avait fait le leader Mohawk Kenneth Deer à l’occasion de l’université d’été organisée par la Chaire Normandie pour la Paix en septembre 2022,
- l’existence d’un Centre sur la Grande Loi de la Paix qui constitue la Constitution historique de la Confédération Haudenosaunee,
- l’organisation récente de mobilisations mapuche au Chili devant la Moneda et auprès de différentes ambassades afin de notifier leurs revendications relatives à l’application des traités historiques, notamment celui de Tapihue, qui suppose la survivance d’une souveraineté mapuche. Cela fait écho avec une réflexion plus générale sur ce que pourrait signifier la notion de souveraineté autochtone aujourd’hui.
- Zérah Brémond a ensuite présenté la finalité de ce 2ème webinaire qui est d’appréhender la manière dont les peuples autochtones peuvent se saisir des instruments internationaux et régionaux de droits humains afin de faire valoir leur droit à l’autodétermination. Il a également annoncé la tenue de trois autres webinaires en fin d’année 2023 sur le droit à l’autodétermination dans l’État, le droit à l’autodétermination hors de l’État et sur les relations entre droit à l’autodétermination et environnement. Il a terminé son intervention en rappelant que le webinaire est enregistré, mais qu’il est évidemment possible pour toute personne prenant la parole de demander à ce que soit suspendu l’enregistrement. L’idée générale est alors de favoriser les échanges et de permettre la rencontre entre les personnes s’intéressant aux questions autochtones.
Suite à ces propos introductifs, une première intervention réalisée par Luc Leriche, a été consacrée à « La reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples autochtones en droit international : un processus ambivalent ? ».
Celui-ci est d’abord revenu sur la notion d’ambivalence, concept défini par le professeur américain Nathaniel Berman. Rapporté à la question du droit à l’autodétermination, il s’agit donc de faire valoir le double discours potentiel du droit international public en la matière, en particulier depuis les revendications formulées par Deskaheh à la Société des Nations en 1923.
Le rejet de la requête de Deskaheh traduit bien l’une des premières ambivalences du droit international de l’époque à l’égard des peuples autochtones en ce que, si d’un côté, les peuples autochtones sont apparus comme des nations indépendantes habilitées à conclure des traités, ils demeuraient également perçus comme des entités n’étant pas en mesure de s’autodéterminer. De sorte qu’au début du XXème siècle les peuples autochtones étaient perçus comme des stricts sujets de droit interne. Cet état de fait n’a alors pas été expressément remis en cause en 1945 par la Charte des Nations Unies puis par la résolution 1514 de l’Assemblée générale, les peuples autochtones étant les grands oubliés du processus de décolonisation. De même, l’adoption en 1957 de la Convention 107 de l’OIT sur les droits des populations aborigènes et tribales maintint cet état de fait, celle-ci visant seulement à « homogénéiser » les populations des États parties selon un processus d’assimilation des collectivités autochtones.
Les choses ont pu commencer à évoluer à partir des années 1970-1980 avec notamment l’étude menée par le rapporteur spécial José Martinez Cobo qui reprend les revendications autochtones à la reconnaissance et au respect de leur droit à l’autodétermination. Les réticences des États demeuraient cependant quant à l’autodétermination, l’adoption en 1989 de la Convention 169 de l’OIT sur les droits des peuples autochtones et tribaux s’étant faite sans que n’y soit intégrée formellement de référence au droit à l’autodétermination et avec notamment la précaution que le concept de peuple utilisé par la Convention n’ait pas le sens qui lui est attribué en droit international.
Les débats autour de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) ont finalement abouti à la consécration du droit à l’autodétermination des peuples autochtones, axé sur sa dimension interne, comme le laisse apparaitre une lecture croisée des articles 3, 4 et 46 du texte. On peut néanmoins se demander si cette Déclaration met réellement un terme à l’ambivalence. Sur le plan des droits fondamentaux et en particulier de la reconnaissance expresse du droit à l’autodétermination des peuples autochtones, la Déclaration est une avancée indéniable. Mais une approche plus critique envisage la Déclaration comme un élément de perpétuation de l’ambivalence, la légitimité et la souveraineté de l’État sur les territoires autochtones étant préservées. Par conséquent, selon cette approche, il appartient à l’État de définir la portée et les limites des droits garantis par la Déclaration. Selon certains auteurs autochtones, il conviendrait que les peuples autochtones puissent s’autodéterminer en dehors du cadre étatique colonial sans nécessairement aboutir à la dislocation des États déjà en place.
Des propositions ont pu être faites en ce sens, à l’image du rapport Matike Mai dans lequel les Maori suggèrent une transformation constitutionnelle de la souveraineté en Nouvelle-Zélande de manière à leur conférer sur le plan interne un pouvoir décisionnel équivalent à celui des institutions étatiques en place. Cela permettrait la mise en place d’un « centre autochtone », selon le terme employé par la professeure australienne Irène Watson, c’est-à-dire un centre sans interférence de l’État. Ce « schéma décolonial » a alors pu être développé à l’occasion d’un cycle de conférences organisé en 2022 à l’université d’Auckland.
À l’issue de l’intervention, plusieurs échanges ont pu avoir lieu avec les autres intervenants et le public, notamment sur le statut international des peuples autochtones et les perspectives envisagées pour une redéfinition de la souveraineté à l’aune du droit à l’autodétermination des peuples autochtones et de leurs propres juridicités. Les débats ont également porté sur des aspects terminologiques, notamment sur l’opportunité d’une « révolution linguistique », selon la formule de Philippe Karpe.
La parole fut ensuite donnée à Karine Rinaldi, pour une intervention sur « Les manifestations du droit à l’autodétermination des peuples autochtones dans la jurisprudence des organes de traités des Nations Unies ».
Elle rappela d’abord la référence faite au droit à l’autodétermination dans l’article 1er des deux pactes de 1966. Pour l’heure, seul le comité des droits de l’homme (CCPR), chargé de veiller à l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a pu développer une jurisprudence relative à ce droit. Le constat est cependant fait du caractère non justiciable de l’article 1er du pacte.
Cela ressort incidemment de la communication A.D. c. Canada réalisée en 1984. Le comité avait développé une position ambigüe dans cette affaire, dans la mesure où il rejeta la demande pour irrecevabilité : le requérant, un leader micmac fut considéré comme non habilité à représenter sa communauté. Elle souligna alors le caractère ambigu de cette solution, la cause d’irrecevabilité pouvant apparaître comme un moyen d’éluder la question de fond, en l’occurrence la justiciabilité de l’article 1er du pacte relatif au droit à l’autodétermination. L’affaire Lubicon Lake Band c. Canada résolue par le CCPR en 1990 confirma la non justiciabilité de cet article, mais admit néanmoins son applicabilité indirecte en lien avec des atteintes portées aux articles de la 3ème partie du Pacte.
Les différentes dimensions du droit à l’autodétermination pourraient toutefois conduire à permettre son opposabilité indirecte du fait des droits garantis par d’autres conventions internationales de droit humain. Par conséquent, des jurisprudences intéressantes ont pu être délivrées non seulement par le CCPR, mais aussi par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CIDAW).
Il en va d’abord ainsi de la dimension territoriale du droit à l’autodétermination, plusieurs affaires ayant permis de protéger plusieurs attributs du droit des peuples autochtones au territoire :
- l’affaire Francis Hopu c. France (CCPR) résolue en 1997 à propos de la construction d’un hôtel sur un cimetière ancestral ;
- l’affaire Poma Poma c. Pérou (CCPR) résolue en 2009 à propos d’un projet de dérivation d’un fleuve préjudiciant fortement une communauté autochtone aymara, le Comité ayant conclu à une violation de l’article 27 (droit à la vie culturelle) du fait de l’absence de consentement préalable libre et éclairé du peuple concerné ;
- l’affaire Lars-Anders Agren c. Suède (CERD) résolue en 2020 confirmant la jurisprudence antérieure et confortant le droit à la propriété autochtone en lui conférant une dimension culturelle ;
- l’affaire Campo Agua’e c. Paraguay (CCPR) résolue en 2021 dans laquelle était en cause le développement d’activités nuisibles à l’environnement dont dépendaient les communautés autochtones requérantes (violation des articles 17 et 27 du Pacte).
Par ailleurs, la préservation du droit à l’autodétermination peut comprendre le droit à l’auto-identification tel que cela ressort de la décision Jeremy Eugene Matson c. Canada (CIDAW) résolue en 2022. Le requérant se plaignait d’avoir perdu sa qualité d’autochtone du fait des conditions de transmission fixées par le droit canadien qui excluait la transmissibilité du statut pour les femmes se mariant à un non autochtone. Le CIDAW a alors demandé au Canada de modifier sa législation afin de respecter le principe d’auto-identification.
Le droit à l’autodétermination paraît également pouvoir être garanti du fait du droit à la participation politique sans ingérence. Cela ressort notamment de trois affaires impliquant la Finlande où la législation tendait à permettre à des non Sâmes de participer à la décision du Parlement sâme.
Elle évoqua enfin la problématique de la potentielle substitution des agents du registre civil par des autorités traditionnelles autochtones incarnée par l’affaire Yaku Perez Guartambel c. Equateur résolue par le CERD en 2022. Était en cause le refus de l’État équatorien de reconnaître un mariage conclu selon les seules règles traditionnelles autochtones. Le comité a fait droit à la demande des requérants, estimant que la reconnaissance du mariage traditionnel se justifiait par le pluralisme légal en vigueur en Équateur. Il estime également que cela résulte du « droit des peuples autochtones à l’autonomie et à l’auto gouvernement ».
Les échanges initiés à l’issue de l’intervention ont pu porter notamment sur les références pouvant être mobilisées par les comités onusiens (Philippe Karpe a fait part sur ce point de la parution du dernier numéro du CIERA sur l’interprétation de la DNUDPA) ainsi que sur la question de la représentation avec l’exemple notable des peuples en situation d’isolement volontaire. Il fut également mentionné par M. Gervais Nzoa l’apport des autres instances onusiennes spécialisées dans les questions autochtones. Les perspectives de ces jurisprudences dans le contexte de l’outre-mer français sont questionnées dans l’espace de discussion en ligne, notamment en Nouvelle-Calédonie où la coutume se limite à la sphère civile.
Après une courte pause, la parole fut donnée à Aurélie Laurent, pour une intervention sur « Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones dans les systèmes de protection régionale des droits de l’homme : un droit indirect ? ».
Elle a débuté son intervention en soulignant la grande effectivité juridique que peuvent avoir les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme, en l’occurrence les systèmes européens, américains et africains des droits de l’homme. À première vue, rien ne semble concerner les peuples autochtones dans les conventions. De surcroît se pose la question de savoir si le droit à l’autodétermination est un droit humain.
Elle a ensuite souligné la difficulté pour définir ce qu’est l’autodétermination qui, sur le plan individuel, pourrait s’incarner simplement dans le mot liberté, et sur le plan collectif, faire écho à des concepts plus politiques tels que l’autonomie ou la souveraineté. L’autodétermination peut également être définie par ses composantes : politique, économique, sociale, culturelle, voire juridique.
Par conséquent, le droit à l’autodétermination peut être dans un premier temps qualifié de Droit fondamental régional controversé.
Cela ressort tout d’abord du fait qu’il s’agit d’un droit difficilement reconnu.
Dans le système interaméricain, il n’est aujourd’hui pas mentionné en dépit d’un souhait originel de la Colombie en ce sens. Elle souligne toutefois l’apport de la Déclaration américaine des droits des peuples autochtones adoptée en 2016 qui reconnaît effectivement le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. La Cour a pu quant à elle faire référence à l’article 1er des PIDCP et PIDESC à fins d’interprétation de l’article 21 de la Convention sur le droit de propriété. La Commission interaméricaine a également pu rendre un rapport en 2015 dans lequel elle revient sur les composantes du droit à l’autodétermination.
Dans le système africain, on trouve formellement une référence à ce droit dans la Charte, mais en visant plus généralement tous les peuples. La Cour africaine a néanmoins admis que ce droit puisse s’appliquer aux « groupes infra-étatiques », à condition cependant de ne pas remettre en cause la souveraineté territoriale de l’État.
Dans le système européen, les choses sont beaucoup plus limitées, seule une affaire de 1975 dite X c. Pays-Bas faisant expressément référence à ce droit. Le requérant se plaignait sur ce fondement des conditions dans lesquels le Suriname est devenu indépendant. La Cour rejeta la requête estimant que le droit à l’autodétermination ne figure pas dans le cadre des droits garantis par la Convention, la requête apparaissant comme « loufoque » du point de vue de la Cour.
Elle évoqua ensuite différentes entraves à la reconnaissance du droit à l’autodétermination dans les systèmes de protection régionale :
- d’abord liés au texte qui peut être plus ou moins disant sur cette question ;
- ensuite du fait que s’agissant d’une justice internationale, elle paraît peu à même d’admettre une revendication fondée sur le droit à l’autodétermination externe alors susceptible de déstabiliser le continent ;
- de manière liée, s’agissant de juridictions spécialisées dans les droits humains, les Cours n’entendent pas aller sur le terrain de l’autodétermination complète/globale dès lors qu’elles entendent avant tout se poser la question de l’imputabilité vis-à-vis de tels ou tel État pour protéger les droits humains ;
- par ailleurs, les conventions constituant des instruments subsidiaires, cela suppose de laisser des marges de manœuvre aux États ce qui paraît a priori faire obstacle à une revendication fondée sur le droit à l’autodétermination ;
- enfin, se pose la question de l’effectivité des décisions.
Le droit à l’autodétermination peut néanmoins constituer un principe clé qui donne une plus-value à la protection des droits fondamentaux. Elle entendit donc démontrer, dans un second temps, que le droit à l’autodétermination des peuples autochtones serait un possible paradigme interprétatif des droits fondamentaux régionaux.
D’un côté, cela ressort des droits substantiels qui peuvent être adaptés à la lumière de l’autodétermination :
- en matière d’identification, d’identité, de droit à la personnalité juridique ;
- en matière de droit foncier autochtone, le droit à l’autodétermination pouvant se traduire par l’octroi de compétences. Est notamment mentionné en ce sens l’apport de l’affaire Notre terre c. Argentine tranchée en 2020 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Elle a toutefois souligné l’ambigüité de ce type de décision qui conduit à exiger une plus forte intervention de l’État, ce qui ne traduit pas nécessairement une logique de libre détermination ;
- en matière de liberté d’expression avec l’exemple de l’affaire sur les radios autochtones au Guatemala jugée par la CIDH en 2021 dans laquelle la Cour se fonde formellement sur le principe d’autodétermination pour conclure à la violation.
Par comparaison, il n’y a pas grand-chose du côté de la CEDH, même s’il pourrait être envisagé à l’avenir des recours permettant de faire valoir le droit à l’autodétermination secteur par secteur, comme paradigme interprétatif.
Une telle évolution pourrait également être développée à propos des droits procéduraux afin de créer des voies de dialogue juridictionnel, en particulier en matière environnementale. En ce sens, un projet de protocole est aujourd’hui en discussion au sein du Conseil de l’Europe afin de permettre à « tout individu, groupe et peuple » de bénéficier d’un environnement sain et durable. Des évolutions pourraient être attendues en matière de droit à la consultation préalable à la lumière de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Elle a conclu son intervention en soulignant que de telles victoires peuvent constituer des petits pas permettant d’avancer progressivement vers l’autodétermination.
La discussion a conduit à élargir le débat sur la question du droit à un mode de vie traditionnel dans le cadre de la jurisprudence de la CEDH ainsi que sur l’opportunité de multiplier les recours devant la Cour (notamment par les Kanak, comme le souligne François Féral) pour lui donner l’opportunité de faire évoluer sa jurisprudence et de renforcer la visibilité des peuples autochtones. Il est par ailleurs question de la portée des instruments internationaux de soft law et de leur caractère persuasif dans la jurisprudence des juridictions régionales de protection des droits de l’homme. Gervais Nzoa a souligné dans l’espace de discussion en ligne l’importance de connaître et mobiliser les différents mécanismes de promotion et de protection des droits des peuples autochtones disponibles de l’échelle locale et à l’échelle internationale, conformément à la DNUDPA, aux conclusions de la conférence mondiale, à la jurisprudence des cours régionales, des organes de traités de l’ONU et des recommandations de l’Instance permanente sur les questions autochtones, du mécanisme des experts de l’ONU sur les droits des peuples autochtones ainsi que celles du rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones.
La parole est enfin donnée à Florian Aumond pour une intervention sur « Le droit à l’autodétermination, fondement du droit des peuples autochtones non contactés à l’isolement volontaire ».
Il a débuté son intervention en soulignant le caractère relativement tardif de la prise en compte de la question des peuples autochtones non contactés sur le plan international. La forte concentration de ces peuples en Amérique latine a conduit à focaliser essentiellement les textes internationaux de référence, notamment au sein de la commission américaine des droits de l’homme qui a adopté une importante résolution sur ce sujet en 2013. Une évolution terminologique a alors été actée conduisant à privilégier la notion de « peuple en situation d’isolement volontaire » qui suppose un choix de rester en isolement et qui fait écho à une logique d’autodétermination. Ce choix de l’isolement repose fondamentalement dans le principe de non-contact.
Tout d’abord, il a discuté le caractère problématique de l’indexation du principe de non-contact sur le droit à l’autodétermination.
Il en est ainsi d’une part à la lumière du principe d’autonomie.
Si d’un côté, les peuples en situation d’isolement volontaire disposent indéniablement d’une autonomie territoriale interne, le fait est que l’État reste, sur le plan international, habilité à faire appliquer son droit sur le territoire concerné à l’égard des personnes tierces qui ne sont pas autochtones. Mais le principe de non-contact fait obstacle à ce que le droit étatique soit effectif sur le territoire des peuples en situation d’isolement volontaire.
L’ambigüité repose donc dans le fait qu’en dépit du principe de non-contact, il n’y a pas d’interdiction absolue à l’État d’entrer sur le territoire.
Il en va d’autre part au regard du principe de participation.
Si le principe de participation suppose un droit des peuples autochtones à participer à la gouvernance de l’État concerné, il ne peut logiquement être envisagé dans le cas de peuples en situation d’isolement volontaire.
Malgré ces difficultés à indexer le principe de non-contact sur le droit à l’autodétermination, il paraît néanmoins en constituer une expression nécessaire et spécifique.
En premier lieu, il a signalé que le droit à l’autodétermination constitue un fondement non exclusif du principe de non-contact.
Ce principe peut en effet se fonder dans le droit « à la survie physique », le contact pouvant susciter des violences directes (à l’égard des peuples ou de ceux qui tentent de les contacter) et indirectes (virus, épidémie, pollution…).
Il peut d’autre part résider dans le droit « à la survie culturelle », le contact pouvant apparaître comme étant potentiellement vecteur d’assimilation forcée contraire à l’article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
En second lieu, il note cependant que le droit à l’autodétermination demeure un fondement privilégié du principe de non-contact.
Cela ressort tout d’abord du fait que le non-contact est l’expression d’un isolement volontaire. Il y a ainsi un volet positif de l’expression par le peuple de sa volonté de ne pas être contacté qui dépasse le strict enjeu de protection. Aussi, sur la question du droit à la participation, il souligne le fait que ne pas participer constitue un choix qui ne remet pas en cause le droit à participer. À ce titre, il est notable de relever qu’il est toujours possible pour ces peuples de rompre l’isolement.
De manière liée, il relève le fait que le non-contact est l’expression d’un isolement relatif. À ce titre se pose la question des modalités par lesquelles ces peuples peuvent faire valoir leurs droits : en ce sens, il leur est possible d’être en contact avec certains peuples susceptibles de les représenter.
En conclusion, la question des peuples en situation d’isolement volontaire suscite de nombreux débats quant à la consistance du droit à l’autodétermination.
Les discussions qui ont suivi ont porté notamment sur les modalités de recours de ces peuples auprès des juridictions internationales et régionales ainsi que sur les conditions dans lesquelles les États peuvent intervenir sur le territoire des peuples en situation d’isolement volontaire et ce, notamment lorsqu’il doit prendre des mesures positives pour faire respecter leurs droits.
La dernière intervention de Gourmo Lo sur « Le droit à l’autodétermination des peuples « autochtones » du Sahara Occidental devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples » n’a finalement pu se tenir du fait de l’indisponibilité de l’intervenant. Ce sujet devrait néanmoins faire l’objet d’une communication écrite dans l’ouvrage tiré du cycle, à paraître en 2024.
Le prochain webinaire sur « Droit à l’autodétermination dans l’État » est programmé le jeudi 5 octobre de 16h15 à 20h.
Au plaisir de partager de nouvelles réflexions avec vous à l’occasion de ce prochain rendez-vous !