Retour sur le 1er webinaire du 28 mars 2023 : droit à l’autodétermination et relations entre Nations.
Le 28 mars 2023 s’est tenu, de 16h30 à 20h, le premier webinaire du cycle consacré au droit à l’autodétermination des peuples autochtones – Perspectives et pratiques 100 ans après Deskaheh.
Le cycle a été inauguré par les mots de présentation des différents partenaires au projet et des organisateurs afin d’en exposer la finalité :
- Pierre Chabal, directeur du LexFEIM, a annoncé les objectifs généraux du cycle : commémoration d’un fait historique (la venue du chef Deskaheh à la Société des Nations en 1923) et réflexion sur les implications du droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Il a également annoncé les 5 webinaires prévus durant l’année 2023 : les deux premiers visant à établir les sources du droit à l’autodétermination (dans le statut de nation autochtone et dans les droits fondamentaux), les trois suivants portant sur le contenu de ce droit (interne, externe et en lien avec les enjeux environnementaux).
- Emilie Gaillard, responsable scientifique de la Chaire d’excellence CNRS Normandie pour la Paix, Droit(s) des générations futures, paix et environnement, a souligné les liens entre ce cycle de webinaires qui entend appréhender le droit à l’autodétermination au-delà des cadres occidentaux et l’esprit de la Chaire qui vise à décoloniser la pensée juridique ainsi que les manières de concevoir la « Paix avec la Terre ». À cet égard, elle a présenté la ligne peuples autochtones de la Chaire, placée sous la direction scientifique de Leslie Cloud ainsi que les différents travaux menés avec des représentants de peuples autochtones (dialogues intergénérationnels, université d’été, participation à une réunion d’experts de l’ONU sur la justice transitionnelle et les peuples autochtones, aux sessions annuelles de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones (IPQA) et organisations d’évènements parallèles dans le cadre de l’IPQA).
- Niki Siampakou, chargée de projet recherche et formation à l’Institut francophone pour la justice et la démocratie (IFJD), a salué le déroulement de ce projet qui s’inscrit dans le prolongement des autres activités de l’IFJD en matière de droit des peuples autochtones (Université d’été en 2019, numéro spécial de l’annuaire de justice transitionnelle, projet en République centrafricaine et processus exploratoire pour la mise en œuvre d’une commission vérité sur les homes indiens en Guyane).
- Leslie Cloud, co-organisatrice du cycle, a rappelé les difficultés rencontrées par les peuples autochtones pour la reconnaissance, en droit international, de leur droit à l’autodétermination. Elle a notamment souligné le caractère choquant de la fin de non-recevoir adressée successivement au chef iroquois Deskaheh en 1923 et au chef maori Rapana en 1924 pour qu’ils soient entendus par la Société des Nations en tant que représentants de leurs nations. Aussi, à l’occasion du cycle de commémoration de la venue de Deskaheh à la Société des Nations, cette série de webinaires permettra la mise en place d’un espace d’échanges entre autochtones et non autochtones sur ce droit.
- Zérah Brémond, co-organisateur du cycle, a exposé les attentes liées à ce projet : d’une part, permettre de revenir sur le contenu en théorie et en pratique du droit à l’autodétermination des peuples autochtones qui ne saurait se résumer à la seule question de l’indépendance ; d’autre part, initier une collaboration durable entre les différents intervenants de grande qualité qui ont accepté d’y participer. Il a évoqué l’idée de la création d’un réseau de juristes français spécialisés dans le droit des peuples autochtones.
Suite à ces propos introductifs, la conférence d’ouverture du cycle de Mme Isabelle Schulte-Tenckhoff a permis de rendre un premier hommage à Deskaheh avec une riche présentation sur le « Périple de Deskaheh ». Cette conférence fera l’objet d’une publication écrite dans l’ouvrage à paraître à l’issue du cycle.
S’en est suivie une présentation de Leslie Cloud sur « Les traités conclus avec les Mapuche et les Rapanui : des relations internationales ? »
À titre préalable, elle a souligné le fait qu’avec l’Argentine, le Chili est l’un des seuls États d’Amérique latine à avoir recouru à de tels accords. Le constat initial est qu’à l’origine, ces traités ont été conclus sous la colonie, puis par l’État chilien, dans une logique de relation de nation à nation, avant de renoncer au XXe et XXIe siècle à de tels instruments (en reprenant une réflexion de Mme Schulte-Tenckhoff, elle évoque ainsi un processus « d’internalisation » des relations entre les nations autochtones et l’État chilien).
Sa présentation s’est donc déclinée en deux temps :
- Une première partie dans laquelle elle revient sur les traités conclus avec les Mapuche-Reche et les Rapanui comprenant :
- D’une part, les « parlamentos-koyangtvn » (Parlements-traités) conclus entre les Mapuche et la Couronne d’Espagne, afin d’établir une paix relative entre nations. Par conséquent, ces accords reconnaissent la souveraineté d’un territoire mapuche qui subsista encore au moment de l’indépendance (en l’occurrence au sud du fleuve bio-bio). Un parlamento general fut ainsi notamment célébré en 1825 avec l’État chilien en reconnaissant la souveraineté des Mapuche sur leur territoire.
- D’autre part, l’Accord de volontés conclu en 1888 avec des représentants rapanui dont la finalité était, du point de vue de l’État chilien, d’acter la cession de souveraineté au Chili, ce qui ne correspond cependant pas à la perspective rapanui. Une controverse subsiste ainsi quant aux différentes traductions du traité en langue napanui – tahitien. À cet égard, la tradition orale rapanui parle ainsi d’un geste symbolique du roi Atamu Tekena qui aurait ramassé de la terre avec de l’herbe, mettant la terre dans sa poche et remettant seulement l’herbe aux représentants chiliens.
- Une seconde partie analyse la dynamique du phénomène d’internalisation des relations entre autochtones et État chilien :
- Prenant d’abord la forme de lois conduisant à la violation des traités historiques. Il en va ainsi des normes constitutionnelles qui nient l’existence des territoires autochtones. Les lois du 2 décembre 1852 et du 4 juillet 1866 sont venues acter le projet d’intégration du territoire mapuche au sein de l’État chilien, en violation du Parlamento General de Tapihue. Il en fut de même à l’égard de l’Accord de Volontés méconnu par l’octroi de concessions sur l’île de Pâques (intégration notamment en 1933 de l’ensemble du territoire rapanui dans le domaine public chilien).
- Elle a ensuite souligné l’échec récurrent des stratégies visant à faire valoir les traités devant les juridictions chiliennes. Les Mapuche, sur le conseil de l’avocat José Lincoqueo Huenuman, avaient pu ainsi contester l’application des lois de 1852 et 1866 sur leur territoire, du fait de leur contradiction avec les orientations posées par les parlamentos. Une telle stratégie a néanmoins été rejetée par les juridictions chiliennes en ce que faire droit à cette demande conduirait à couper le Chili en deux. La requête des Rapanui visant à faire valoir l’Accord de Volontés fut également rejetée au motif que l’État chilien détiendrait un titre sur l’île du fait de son statut d’occupant et non en vertu de cet accord. Après épuisement des recours internes, une requête visant à obtenir justice et réparation pour l’ensemble des violations des droits de l’homme subies par les Rapanui depuis la signature de l’Accord de Volontés a été présentée en 2015 devant la commission interaméricaine des droits de l’homme. Elle est actuellement en instance suite à son admissibilité en 2021.
Elle a conclu sa présentation en s’interrogeant sur les perspectives offertes par les traités passés hier pour les autochtones d’aujourd’hui notamment en soutien à la reconnaissance et au respect de leur droit à l’autodétermination. Sont notamment mobilisés les apports du droit international et interaméricain des peuples autochtones ainsi que ceux de l’étude Martinez des Nations Unies sur les traités. Dans ce contexte, elle s’interroge sur le crédit à accorder à la déclaration de l’actuel président chilien G. Boric visant à « récupérer et actualiser le traité de Volontés » avec les Rapanui. Se pose au final la question des mécanismes pouvant être envisagés pour résoudre les différends sur la mise en œuvre des traités.
À l’issue de cette présentation, des discussions s’en sont suivies avec plusieurs participants avant de céder la place à l’intervention de Ghislain Otis sur « les traités autochtones : perspective juspluraliste autochtone ».
Selon Ghislain Otis, l’approche proposée des traités se veut sui generis en ce qu’elle n’est ni fondée sur une approche de droit international, ni fondée sur une approche de droit interne. Il a cependant rappelé qu’à l’origine, les premiers traités apparaissaient clairement comme étant des traités entre Nations tandis que ceux conclus au XIXe siècle avec les « sujets indiens », répondaient à une logique de droit interne.
L’approche pluraliste admet le fait que l’ordre juridique autochtone possède sa propre « endo-validité » qui ne dépend ni de la reconnaissance internationale, ni de l’ordre étatique. Le traité constitue par conséquent un procédé autochtone à part entière, par lequel les opérateurs autochtones prennent en charge la coexistence de leur ordre avec des ordres exogènes (étatique ou international). La conséquence de ce phénomène d’articulation impliquerait nécessairement une interprétation bi-juridique des traités, à la fois à la lumière des concepts étatiques et des concepts autochtones.
Ghislain Otis a en outre observé que certaines matières doivent en revanche demeurer hors traités compte tenu de leur caractère fondamental et consubstantiel à l’existence même de l’ordre juridique autochtone. L’exemple de l’accord définitif Nisga’a est ainsi mentionné comme visant spécifiquement des sujets devant demeurer hors traité. La conséquence en est que de telles matières n’ont pas à être mobilisées devant les organes relevant de l’ordre juridique étatique. Cela traduit une logique d’évitement de l’État.
Dès lors, les matières pouvant relever des traités seraient celles qui seraient à même de nécessiter un recours à l’externalisation afin de bénéficier d’une protection par les instruments de l’ordre étatique. Il en va notamment ainsi des questions liées aux terres et aux ressources : l’ordre étatique apparaît ainsi comme un levier permettant d’assurer une certaine effectivité à ces dispositions.
En conclusion, Ghislain Otis a souligné que le pluralisme juridique peut dérouter en ce qu’il conduit à faire coexister plusieurs vérités juridiques sur une même situation : la qualification autochtone, la qualification étatique et la qualification internationale. Le traité permet donc aux opérateurs autochtones de pacifier les rapports entre les différents protagonistes de la pluralité juridique.
Une nouvelle riche phase de discussions a précédé la dernière présentation du webinaire, réalisée par François Féral sur « Les traités à conclure avec les Kanak : des relations fondatrices ? ».
Il est, en premier lieu, revenu sur la notion de « traité » dans le contexte spécifique de la colonisation française qui s’avère être largement circonscrite aux relations entre États tout en remarquant que des « traités de protectorat » ont cependant pu être conclus dans le Pacifique, en Polynésie et à Wallis et Futuna notamment. À cet égard, il a en outre souligné que ces traités furent souvent conclus dans le cadre de rapports de force, sans être véritablement respectés. Ces traités ne seraient ainsi selon lui que de faux accords visant à conduire à la colonisation unilatérale des territoires visés.
Il a ensuite expliqué qu’en Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas eu de telles tentatives, la prise de possession ayant été totalement unilatérale et la plupart des terres kanak ayant été spoliées. Des traces de traités pourraient toutefois être décelées dans les accords de Matignon et de Nouméa et ce, malgré le fait que la Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement faisant coexister plusieurs groupes de population. Le préambule de l’Accord de Nouméa fait en effet référence à la nécessaire restitution au peuple kanak de son identité confisquée impliquant la reconnaissance de sa souveraineté. Celle-ci apparaît ainsi « préalable » à l’établissement d’une souveraineté partagée.
Selon François Féral, si, l’ordre juridique kanak semble se résumer aujourd’hui à la coutume, les Kanak conservent toutefois la possibilité d’apporter du contenu à leur ordre juridique sans que cela ne nécessite l’intervention de l’ordre étatique. Cela est particulièrement marqué dans les îles Loyautés où toutes les terres sont coutumières.
En conclusion, Il a observé que dans la colonisation française la notion même de traité est connotée négativement tout en soulignant que la permanence d’un ordre juridique kanak laisse penser qu’il pourrait y avoir un processus permettant à l’ordre juridique autochtone de se maintenir.
Cette dernière présentation a clôturé le webinaire après de nouveaux riches échanges entre le public et les participants.
Le prochain webinaire sur « Droit à l’autodétermination et droits fondamentaux » est programmé le jeudi 1er juin de 16h20 à 20h00.
Au plaisir de partager de nouvelles réflexions avec vous à l’occasion de ce prochain rendez-vous !