Dialogue intergénérationnel de la Chaire Normandie pour la Paix du 15 juillet 2022 avec Delphine Fabbri Lawson : les droits à la terre et au territoire Guarani Mbya, la situation de la aldea Mata Verde Bonita de Marica.

Avec Leslie Cloud

Tupa Nunes est un cacique et une autorité traditionnelle spirituelle (Pajé-Shaman) du peuple Guarani Mbya. Il est aussi coordinateur de la Commission Guarani Yvyrupa (CGY). 

Delphine Fabbri-Lawson est une artiste visuelle franco-italo-anglaise engagée depuis plusieurs décennies pour la défense des droits des Peuples Autochtones et de la Terre, diplômée en arts visuels (photographie, vidéo, cinéma) et design de Grenoble et de Milan, en Sciences Politiques et en hypnose Ericksonienne. Ses formations lui permettent aujourd’hui de conjuguer les arts, l’ancestralité autochtone et l’hypnose, notamment avec son époux, le Pajé (chaman) Guarani Tupa Nunes et son fils Guaráni Vera Xunu. Elle développe une approche de la pratique chamanique Guaránis avec la pratique en hypnose Ericksonienne.

Cet entretien était initialement prévu avec le Cacique et Pajé Tupa Nunes et Delphine Fabbri Lawson dans la continuité de celui mené en juin 2022. Le Cacique et Pajé (Shaman)Tupa Nunes a cependant dû rentrer précipitamment au Brésil quelques jours avant l’entretien pour faire face à une invasion illégale qui venait d’affecter la terre de son village. Son agenda sur place ne lui a pas permis de se connecter pendant l’entretien comme il l’espérait.

Il s’agit ici de la retranscription des principaux extraits de l’entretien mené avec Delphine Fabbri Lawson le 15 juillet 2022 et dont la vidéo est disponible ici : 

Le dialogue a été introduit par un rappel sur les droits reconnus aux peuples autochtones dans la Constitution brésilienne ainsi que sur le droit international des peuples autochtones en vigueur au Brésil et en particulier sur la teneur et la portée du droit aux terres, territoires et ressources naturelles et du droit à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé. A ensuite été recensé et commenté un ensemble de projets de lois en cours de discussions et qui porte atteinte aux droits territoriaux des peuples autochtones. 

Des activités spirituelles en France pour agir ensemble pour la Planète et l’Humanité

Invitée à commenter des photographies présentées en direct, Delphine Fabbri-Lawson témoigne des diverses activités menées en Europe par le Cacique et Pajé Tupa Guarani: sa rencontre avec la compagnie des guides de Chamonix et son ascension du Mont Blanc pour sensibiliser sur la cause autochtone au Brésil, sa réunion avec le Maire de la Ville de Grenoble, ainsi que des activités spirituelles avec d’autres communautés spirituelles (bouddhistes, soufistes, avec le défunt Pierre Rabbi qu’il a présenté comme un shaman). Elle explique que Tupa Nunes est non seulement un leader pour sa communauté, un grand orateur mais qu’il a également la capacité de comprendre comment communiquer avec d’autres cultures, d’autres territoires, comment tisser des liens avec eux en vue de générer une prise de conscience collective, pour agir ensemble. Elle présente ces rencontres comme des rencontres à la fois politiques mais aussi spirituelles, qui se poursuivent aujourd’hui. 

A titre d’exemple, à l’annonce de la nouvelle de l’invasion de son territoire, le Cacique et Pajé Tupa Nunes a bénéficié de nombreuses aides pour lui permettre de repartir en urgence au Brésil pour y défendre sa terre. Delphine Fabbri Lawson souligne que cette solidarité est très émouvante. Les soins à la terre et aux personnes, prodigués par le Pajé Tupa Nunes ont permis de créer une communauté de soutien à la cause de Tupa Nunes et de son peuple dans des situations d’urgence. Elle cite notamment l’association Terra Anima, la Chaire Normandie pour la Paix, une association grenobloise de soutien à la communauté de Tupa Nunes etc. 

L’arrivée de la communauté sur les Terres Autochtones de Marica

Delphine Fabbri Lawson est par la suite revenue sur le contexte dans lequel la communauté est venue s’installer sur les terres autochtones de la Aldea Mata Verde Bonita de Marica. Elle rapporte que quand la communauté de Tupa Nunes a été victime de l’incendie criminel de son village il y a une dizaine d’années, le préfet de Marica, les a invités à s’installer sur une aire environnementale protégée

Face à cette offre, la communauté avait accordé toute sa confiance au Préfet dont l’offre leur semblait juste. Comme le souligne notre invitée, au cours de l’Acampamento Terra Livre (ATL) de 2022 mais aussi des sessions précédentes de l’ATL, les Peuples Autochtones n’ont cessé de proclamer que le Brésil est une terre autochtone antérieure à la colonisation. Progressivement, leurs terres ancestrales leurs ont été usurpées. Par ailleurs, les Guarani sont un peuple nomade, changeant de terres selon les périodes de l’année. Mais ce mode d’occupation des sols est incompatible avec le processus de démarcation. Dans ce contexte, Delphine Fabbri Lawson indique que quand le « Cacique » de la ville, le préfet, leur a proposé de venir sur une terre autochtone (anciennement terre Tupinamba), par ailleurs protégée sur le plan environnemental, ils n’ont pas douté. Selon eux, il s’agissait de faire renaitre une terre autochtone. Cela a été perçu comme quelque chose de sacré. Ils pensaient aussi que la préfecture les aiderait en matière d’éducation et de santé et qu’ils bénéficieraient d’un accompagnement. Elle précise qu’à leur arrivée sur cette terre du littoral, il n’y avait rien. Ils ont du tout construire au fil des années.

L’invasion de l’Aldea de Mata Verde Bonita par le projet immobilier-touristique Maraey

Delphine Fabbri Lawson a ensuite expliqué le contexte de l’invasion de leurs terres de Marica par un promoteur immobilier espagnol (IDB Brasil). Elle relate que quelques années après l’installation de la Communauté sur les terres de Marica, l’entreprise Maraey est apparue en revendiquant la propriété de cette terre. Comme elle le souligne, il s’agit d’un projet de grande envergure présenté comme le 6ème complexe touristique du Brésil et qui s’étend sur 12 km de littoral, de dunes, de forêts, d’eaux translucides ; des terres magnifiques car jusqu’alors protégées. 

Un processus de démarcation initié mais lent

La FUNAI avait déjà commencé à travailler avec la préfecture pour initier la démarcation de ces terres. Dans ce contexte, cette terre ne devait pas être envahie ni achetée par quiconque. Comme le relève Delphine Fabbri Lawson, il s’agit d’un paradoxe qui illustre à quel point les droits des peuples autochtones ne sont pas respectés.

La communication mensongère de Maraey et les tentatives d’achats de la communauté

Elle rappelle que les Guarani ont été furieux de découvrir l’appropriation de leur culture par l’entreprise qui a pris un nom Guarani, Maraey, qui signifie « La Terre sans mal ». Elle pointe par ailleurs le caractère mensonger de la vidéo promotionnelle de l’entreprise qui présente le projet comme étant en harmonie avec les peuples autochtones présents. A l’annonce du projet, l’entreprise dont l’investissement représente une dizaine de billions de réales, a proposé à la communauté de leur fournir de l’eau potable, de les faire travailler dans l’entreprise, de creuser un puits et de favoriser leur accès à l’éducation. D’autres membres de l’entreprise ont proposé 2000 reales (moins de 400 euros) pour chaque famille contre de nouvelles terres, sans eau et situées près d’un port fluvial avec toutes les pollutions que cette nouvelle localisation signifie. Depuis leur opposition manifeste à Maraey, le processus de démarcation semble suspendu.

Les stratégies de défense mises en place face aux menaces et destructions de leurs terres

Au cours des premiers jours de l’invasion, le peuple Guarani Mbya s’est rebellé face à la déforestation de leurs terres réalisée autour du cimetière sacré. Selon Delphine Fabbri Lawson, l’entreprise a précisément ciblé ce cimetière. En attaquant un espace symbolique et sacré de leurs terres, l’entreprise a cherché à les déstabiliser. Le père de Tupa Nunes, son grand-père sont notamment enterrés dans ce cimetière. 

Dans ce contexte, dans un premier temps, les membres de la communauté du Cacique et Pajé Tupa Nunes ont affronté ceux qu’ils nomment les envahisseurs, avec leurs machettes, tentant de leur prendre leurs tronçonneuses, afin qu’ils cessent de détruire la forêt. Les premiers jours ont été très violents et beaucoup ont failli perdre la vie. Les jours suivants, les envahisseurs sont revenus avec le soutien de la police militaire sollicitée par la compagnie immobilière.  

Comme l’explique Delphine Fabbri Lawson, pour le peuple Guarani, la Nature fait partie de leur vie, de leur culture. Nandheru, correspond aux esprits, aux éléments de la nature. Quand on coupe un arbre, une part d’eux disparaît, leur équilibre. La Nature leur donne la vie, la protection, de la nourriture et permet la transmission de leur culture. En relation avec les traumatismes quotidiens dont sont victimes les familles de cette communauté, elle a interrogé les mères de familles sur leur situation, sur celles de leurs enfants, dans un contexte où les pères sont prêts à donner la vie pour sauver leurs terres : « Les mères répondent que ces situations font partie de la vie des enfants : il s’agit d’exister pour résister et résister pour exister ». A cet égard, elle rappelle que cette communauté constituée d’une quarantaine de familles et de plus de 250 membres Guarani a déjà connu de nombreuses expulsions territoriales. Dix ans avant d’arriver sur cette Terre, ils ont subi la destruction de leur village par un incendie criminel provoqué par une entreprise immobilière, en toute impunité. L’histoire se répète car les terres autochtones sont protégées par les peuples autochtones. Elles sont belles et riches et attirent les convoitises. Dans ce contexte, les entreprises immobilières veulent en faire des terres de tourisme au détriment de ces peuples pour qui ces terres sont des terres de vie, de culture et de nourriture. Selon Delphine Fabbri Lawson, la communauté ignore quelle sera l’issue de ce conflit car d’une part, les rapports sont violents et d’autre part, sous le gouvernement Bolsorano, les moyens de défense sont compliqués. Pour faire face à cette situation, elle estime que les pressions extérieures ont du poids et que même si les organisations autonomes autochtones sont importantes, elles ont besoin de soutien de l’extérieur.

Elle revient ensuite sur les actions menées par la Commission Guarani Yvyrupa, organisation autonome composée d’avocats et dont la fonction est de défendre la terre guarani. Quand l’invasion a commencé, une avocate de la Commission a immédiatement présenté une plainte officielle à la délégation de la police locale ; elle a également prévenu la FUNAI. Les Guarani ont par ailleurs fait appel à leurs familles, à leurs « parents » d’autres villages, d’autres municipios, d’autres Etats pour maintenir la résistance et la surveillance de leurs terres. Ils espèrent continuer cette résistance de manière pacifique car les Guarani sont un peuple pacifique.   Quand la police militaire a été déployée sur leurs terres, des membres de la communauté ont commencé à se défendre. Le Pajé Tupa Nunes est rapidement intervenu pour calmer la situation afin de préserver leurs vies, privilégiant en priorité la saisine de la justice.  

Delphine Fabbri Lawson explique qu’afin de protéger ses terres, la communauté a placé un garde avec ses propres guerriers à chaque point du territoire pour réquisitionner les outils des travailleurs de l’entreprise, au risque de se trouver malheureusement face à des armes. Elle souligne que les entreprises recourent à la violence, non seulement auprès des Guarani Mbya mais aussi auprès des Guajajara, auprès des Guarani-Kaiowa au Mato Grosso etc., rappelant qu’il s’agit de leur manière classique de s’emparer de leurs terres, sous la protection officieuse de Bolsonaro. Ces entreprises savent que leurs actes et les crimes commis ne seront ni reconnus, ni condamnés, sauf en cas de grande pression internationale. Elle cite notamment l’exemple de l’assassinat en 2019 de Paulo Paulino Guajajara. Sous la pression internationale, ce meurtre vient à peine d’être reconnu par le gouvernement. Combien d’assassinats d’autochtones et de personnes qui les soutiennent ont été commis dans le silence ? Elle avoue avoir elle-même été la cible de menaces et de tirs pour soutenir les peuples autochtones tout en rappelant que les peuples autochtones vivent ces menaces, ces attaques, depuis leur naissance et qu’ils ont beaucoup de courage de poursuivre leurs combats sous Bolsonaro. Selon elle, comme dans beaucoup d’endroits au Brésil, ces actions d’invasion, sont menées par des entreprises qui se sentent soutenues et protégées par le président Bolsonaro ; parce qu’elles savent que Bolsonaro ne sera peut-être plus président aux prochaines élections, elles intensifient les pressions et les actes de violence sur leurs territoires. 

Dans ce contexte, elle souligne qu’il est indispensable d’informer et de sensibiliser par le plus de moyens possibles sur cette situation. Plus le soutien est important, plus il y aura de possibilités de maintenir ce conflit en des termes pacifiques et plus leurs droits auront la possibilité d’être respectés. Elle précise que leur lutte est également menée sur le terrain spirituel au sein de la communauté mais aussi avec des membres d’autres peuples Guarani et autochtones du Brésil pour renverser cette énergie négative et leur assurer plus de protection. 

L’Acampamento Terra Livre (ATL) d’avril 2022

Invitée à présenter l’ATL, Delphine Fabbri Lawson indique que le premier ATL a été organisé il y a 18 ans par l’APIB (Articulação dos Povos Indígenas do Brasil) dans un contexte où apparaissaient les premiers problèmes de démarcation. Bien que dix-huit ans se soient écoulés, la question de la démarcation des terres demeure d’actualité. En avril 2022, plus de 8 000 peuples se sont rendus à Brasilia pour manifester face à différents ministères et contre des projets de loi dangereux pour leurs droits. 

Elle explique que l’ATL de 2022 a eu lieu dans un contexte de recrudescence des invasions illégales. Beaucoup de chefs âgés se sont déplacés pour défendre leurs terres, pour dénoncer les invasions, leurs conditions de vie terribles, qui se sont aggravées sous Bolsonaro. Des manifestes ont été rédigés pour être transmis à Lula, alors candidat à la présidentielle. Ce dernier s’est rendu à l’ATL pour dialoguer avec des représentants des Peuples Autochtones. Il y a indiqué être à leur écoute, entendre leurs demandes et envisager de créer un Ministère des Peuples Autochtones pour mettre en œuvre leurs droits. Selon elle, il s’agissait également d’un très triste ATL marqué par la disparition de grands shamans, de grands chefs à cause de la pandémie mais aussi des attaques et des invasions illégales et meurtrières commises. Au cours de l’ATL, le Cacique et Pajé Tupa Nunes a lancé un appel à tous les peuples autochtones et non autochtones à mettre fin au gouvernement de Bolsonaro pour le bien de l’humanité et de la Planète. 

Delphine Fabbri Lawson a rapporté de l’ATL d’avril 2022 de nombreuses et frappantes images et vidéos qui témoignent du déroulé de l’ATL 2022, des violences auxquelles font face aux quotidien les Peuples Autochtones du Brésil et enfin de leurs souhaits pour l’avenir avec des messages comme « pas une goutte de sang autochtone de plus ! ; Dehors le Génocidaire !; Dehors Bolsonaro ! ; Or illégal ; Les envahisseurs sont un poison ; Nous sommes les Montagnes ; Résister pour Exister ; le Futur est Autochtone » ;  Retrouvez la vidéo de l’ATL d’avril 2022 réalisée à partir de ses photographies et vidéos. 

Son appel à poursuivre le dialogue avec les Peuples Autochtones

D. F. N. : « Il faut poursuivre le dialogue avec les peuples autochtones.  Même si en Europe nous nous sentons différents, nous sommes tous sur la même Terre et ensemble nous ne sommes qu’UN. Il faut continuer de leur donner la parole, de les soutenir et de faire des choses ensemble. Il faut une conscience collective, s’aider tous ensemble pour le bien-être de l’Humanité et de la Terre. »

Pour approfondir : 

Sur le parcours à la recherche d’une terre sans mal de la communauté Tekoa Ka’ Aguy Ovy Porã de la Aldea de Mata Verde Bonita, voir : 

CARVALHO, Monique Rodrigues de. « Índios Petistas” em Maricá?: conflitos, estigma e estratégias de territorialização na aldeia Guarani Mbya Ka’Aguy Hovy Porã ».Tese (Doutorado em Antropologia) – Programa de Pós-graduação em Antropologia, Instituto de Ciências Humanas e Filosofia, Universidade Federal Fluminense, Niterói, 2021.

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