Par Leslie Cloud
Tupa Nunes est un cacique et une autorité traditionnelle spirituelle (Pajé-Shaman) du peuple Guarani Mbya. Il est aussi coordinateur de la Commission Guarani Yvyrupa (CGY).
Delphine Fabbri-Lawson est une artiste visuelle franco-italo-anglaise engagée depuis plusieurs décennies pour la défense des droits des Peuples Autochtones et de la Terre, diplômée en arts visuels (photographie, vidéo, cinéma) et design de Grenoble et de Milan, en Sciences Politiques et en hypnose Ericksonienne. Ses formations lui permettent aujourd’hui de conjuguer les arts, l’ancestralité autochtone et l’hypnose, notamment avec son époux, le Pajé (chaman) Guarani Tupa Nunes et son fils Guaráni Vera Xunu. Elle développe une approche de la pratique chamanique Guaránis avec la pratique en hypnose Ericksonienne.
Nous remercions chaleureusement Delphine Fabbri-Lawson d’avoir traduit nos échanges pendant cet entretien. Il s’agit ici de la retranscription des principaux extraits de l’entretien mené avec Tupa Nunes et Delphine Fabbri Lawson le 7 juin 2022 et dont la vidéo est disponible ici.
Les fonctions spirituelles et politiques de Tupa Nunes et la Commission Guarani Yvyrupa
Leslie Cloud (L.C.) : Bonjour Tupa Nunes, pourriez-vous vous présenter, préciser vos fonctions spirituelles et politiques ?
Tupa Nunes (T.N.) : « Bonjour, Je suis Cacique Pajé (shaman), du village Mbya Guarani de Marica près de Rio de Janeiro. Cette année, j’ai été nommé coordinateur du peuple Mbya Guarani de l’Etat de Rio pour la zone sud-ouest de la Commission Guarani Yvyrupa. Il s’agit de la plus importante organisation Mbya Guarani du Brésil. Cette commission a gagné en importance depuis l’élection du président Bolsonaro dans un contexte où la FUNAI a perdu de sa force. (…) »
La FUNAI sous Bolsonaro et la création de la Commission Guarani Yvyrupa
T. N. : « Pour rappel La FUNAI (Fundação Nacional dos Povos Indígenas) a été créée après la loi de 1968 dans un contexte où il était nécessaire de démarquer les terres. La FUNAI était ainsi chargée de répondre aux demandes territoriales. Cependant sous le président Bolsonaro, la FUNAI, alors considérée comme au service des Peuples Autochtones, a été instrumentalisée au profit du démantèlement des terres autochtones. Bolsonaro a par ailleurs détaché la FUNAI du Ministère de la Justice pour la rattacher au Ministère de l’Agriculture. Dans ce contexte, les propriétaires terriens, d’élevages intensifs, les producteurs industriels (etc.) étaient favorisés pour obtenir des terres autochtones, les plus riches. Le président Bolsonaro a également nommé un nouveau directeur de la FUNAI qui soutient sa politique, contre les Peuples Autochtones. C’est dans ce contexte que la Commission Guarani Yvyrupa a été créée, pour défendre nos droits. Elle est composée des coordinateurs de chaque Etat Guarani et d’avocats qui défendent nos droits aux terres. Leur travail est essentiel. Dès qu’il y a une invasion territoriale, ils réagissent sur le terrain. Cette année par exemple, des actions très importantes ont été menées par la Commission dans un village après qu’une décision d’un juge de cet Etat ait rendu un avis favorable à des agriculteurs, leur permettant de s’approprier des terres de leurs territoires. La commission Guarani est parvenue à empêcher cette nouvelle usurpation. En représailles, les agriculteurs ont saboté un véhicule, incendié une partie du village pour dissuader la communauté de poursuivre ses actions. Mais la Commission a défendu le peuple Guarani de cette terre et ils ont pu retourner sur leurs terres sacrées. (…) Aujourd’hui il est très difficile, voire impossible de faire démarquer les terres mais la Commission est toujours présente pour défendre nos droits à la vie et au territoire. »
Nhanderú, la Loi ancestrale qui guide la lutte.
L. C. : « Que représente Nhanderú pour les Mbya Guarani ? »
T. N. : « Aujourd’hui, le président actuel (J. Bolsonaro) veut l’extermination des Peuples Autochtones. Dans ce contexte, ce qui nous fortifie, ce qui nous rend plus fort, est notre ancestralité, les paroles des sages, qui nous permettent de poursuivre cette ancestralité. Au village nous avons une maison appelée « Opy », une maison à prières. C’est là que sont pratiqués les rituels le soir, que les plus anciens transmettent des enseignements, des savoirs, la Loi Ancestrale ou encore qu’ils nous informent sur des évènements récents.
C’est grâce à cette relation avec le pouvoir de la Nature, à travers Nhanderú, à travers les esprits de la Nature que nous trouvons la force de continuer de résister pour exister. Beaucoup de personnes nous demandent souvent pourquoi les cimetières sont si importants. Pour nous, les personnes décédées sont toujours présentes à travers leurs esprits, elles nous accompagnent au quotidien. Elles sont toujours présentes pour nous orienter dans la vie. Cela explique aussi le caractère sacré de nos terres. C’est pour cela qu’il est important pour nous de rester sur ces terres, de continuer de transmettre notre culture aux jeunes. »
L.C. : Quel avenir voyez-vous pour les générations autochtones actuelles et futures ?
T. N. : « Pour les personnes de ma génération, il est important de ne pas laisser mourir les savoirs. Aujourd’hui, les jeunes ont plus de facilités technologiques que les ancêtres ou qu’il y a vingt ans. Les technologies peuvent être utilisées au service de la culture. Quand je parle de culture, je me réfère à la culture en général, Il est important que les jeunes, même ceux des villes, respectent leur prochain, mais aussi les ancêtres, les personnes les plus âgées. Les jeunes de mon village quittent le village pour poursuivre leurs études et suivre des formations de médecins, d’avocats…Ils cultivent l’espoir de mener une vie saine. Je sais que dans la culture des villes, il y a les bibliothèques. Mais les bibliothèques vivantes aussi sont importantes, celles qui parlent, qui montrent. Dans les villes, les savoirs, les connaissances des personnes âgées ne sont pas valorisées car leurs savoirs sont supposés se trouver dans les bibliothèques, dans des lieux éloignés. On ne valorise pas les personnes âgées. On est assis à côté d’eux tout en ignorant le savoir qu’ils représentent. Il est important de les écouter, de savoir comment ils se comportent, pour soi, pour les jeunes et les générations futures. L’union est importante. Les préjugés vont disparaître le jour où l’on cessera de donner de l’importance à la couleur de la peau, de discriminer. On pourra alors vivre en harmonie. Dans les villes et dans les villages, nous avons de jeunes leaders qui luttent pour l’éducation, la santé, les droits des LGBTI, pour l’alimentation etc. Les jeunes des villages sont tout autant préoccupés que ceux que nous avons pu rencontrer dans les COP. Ils ont conscience qu’ils doivent prendre les choses en main. »
Les Jeux Autochtones pour renforcer la culture, la transmission, la mémoire autochtone et la compréhension entre les Peuples
L.C. : Les Jeux Autochtones vous tiennent particulièrement à cœur, pourriez-vous nous en parler ? (des images de jeux autochtones sont diffusées sur un diaporama)
Delphine Fabbri Lawson (D. F. L.) « Les jeux représentés sur les images du diaporama se sont déroulés en 2016 dans le village de Tupa. Après l’annulation de plusieurs rencontres liées à la pandémie, la disparition de nombreux Caciques, Pajé, il est important pour Tupa Nunes d’organiser une rencontre sous la forme de jeux autochtones. C‘est important pour eux. Il ne s’agit pas de jeux pour gagner mais avant tout de se rencontrer et de faire perdurer la culture de chaque peuple présent. Le projet de Tupa, d’organiser des jeux en décembre 2022 vise aussi à rendre un hommage particulier aux Pajé et aux Caciques qui nous ont quittés. Les jeux seront aussi un espace de transmission des savoirs des Pajé. Nous avons prévu des événements spéciaux pour inaugurer et clore les jeux. Les Pajé de chaque peuple vont y participer. Une vingtaine de délégations de tout le Brésil va être représentée. Les prochaines rencontres seront à chaque fois plus importantes.
Tupa est très ému de ce projet, de pouvoir continuer à transmettre les cultures. Les jeux auront lieu après les élections présidentielles, en espérant que Bolsonaro ne soit pas réélu. Ce sera avant les futures directives qui seront votées en février 2023. A l’occasion des Jeux, les Caciques présenteront leur situation dans leurs villages, sur leurs terres, dans leur État et ils feront part de leurs volontés, de leurs besoins. Il faut rappeler que ce sont des Jeux pour hommes et femmes. Des espaces de discussions sont prévus pour échanger sur les problèmes des femmes autochtones mais aussi pour les valoriser, les rendre plus fortes. Il n’y a pas que des femmes-mères. Il y a aussi des femmes Pajé. Il y a de jeunes leaders qui ont tous un programme politique pour défendre leurs terres et défendre leurs communautés. Il s’agit de donner un espace d’échanges, un espace de paroles, un espace pour transmettre sa culture, pour la valoriser auprès des peuples non autochtones qui vont également venir visiter les jeux pendant toute leur durée.
Un espace spirituel connecté avec la Nature
Il y aura aussi une exposition avec des artistes autochtones, un cycle de cinéma, des documentaires faits par des autochtones avec des thèmes qu’ils veulent défendre. Il y aura aussi des concerts de non autochtones, qui permettent de transmettre les énergies à travers les arts. Le sport renforce la culture et la culture renforce les âmes. Chaque jour, les Pajé réaliseront des cérémonies ; il y aura les discours de Caciques, de femmes qui viendront renforcer les âmes et les esprits des jeunes autochtones mais aussi des jeunes non autochtones qui seront présents pendant ces jeux. La question de l’environnement va être très discutée car dans la culture autochtone, la culture et la Nature ne sont pas séparées. Nandheru renvoie aux esprits de la Nature. Il s’agit toujours de remercier les esprits de la Nature. La Nature sera ainsi toujours présente. Les Jeux seront aussi le moyen de valoriser leur cuisine ancestrale pour montrer à l’extérieur que leur cuisine est aussi un savoir-faire. Plusieurs thèmes, plusieurs domaines seront présentés pendant ces quatre jours de Jeux. Ils permettront de valoriser les cultures autochtones présentes sur ce territoire de Marica, village de Tupa. Ces Jeux touchent beaucoup Tupa. Il a l’espoir que les Jeux puissent accueillir chaque année plus de peuples et pourquoi pas organiser des Jeux mondiaux. Pourquoi ne pas avoir un Partenariat à l’occasion des futurs Jeux Olympiques qui se tiendront à Paris ? Il s’agit d’une invitation ! Pourquoi pas ? Les Jeux constituent donc un patrimoine à valoriser. En se présentant, en représentant leurs cultures sous forme de ces jeux, ils fortifient leurs esprits, leurs corps, leur langue, leur patrimoine culturel. Parler de leurs terres hors de leurs terres est aussi très important. »
T. N. : « Pour moi, il s’agit d’un chemin sacré ; la transmission doit se faire à travers notre culture. (…) J’ai créé les Jeux Autochtones car ces jeux enchantent les Peuples, Autochtones et Non Autochtones. Tous les peuples sont fiers de transmettre leur culture à travers ces jeux. Les Jeux transmettent cette force de la culture pour que la culture ne meurt jamais. Les Jeux sont une autre manière de faire un manifeste. Avec les jeux, nous pouvons casser les préjugés. Tous les préjugés tombent sous la forme de ces jeux. En 2017, il y avait 18 délégations autochtones qui ont montré qu’il était possible de réunir autour des jeux, la force de la culture, de l’amour. »
L’Institut NHANDEREKO
T. N. : « Pendant cette rencontre, nous avons partagé le même souhait sacré de créer un Institut pour valoriser nos cultures. Cet Institut est de plus en plus important grâce à des partenariats en France et au Brésil. (…) Pour recevoir des aides au village, nous avions besoin d’une structure légale, située au village autochtone. Quand j’ai été invité pour venir en France, à Grenoble, il m’a été demandé ce qui pourrait nous aider et j’ai répondu qu’il nous fallait un Institut. Le nom de l’Institut est un nom sacré qui est apparu dans le cadre d’un rituel. Il s’agit de l’Institut NHANDEREKO En Mbya Guarani, cela signifie notre manière d’être. C’est triste qu’au Brésil, un pays si riche, on ne permet pas à cet Institut de prendre soin de sa famille, de son peuple. Je remercie les partenaires qui nous ont accompagnés dans l’aventure NHANDEREKO ainsi que ceux à venir. Je remercie aussi ceux qui vont nous permettre d‘organiser une nouvelle saison de jeux. Ces partenariats sont importants pour donner la chance au Peuple Guarani d’organiser ces jeux et d’inviter ses proches (parents). Les peuples d’Amazonie, sont tellement fiers de présenter leur culture et que d’autres s’intéressent à leur culture. C‘est émouvant. »
D. F. L. : « Tous les jours, des membres de ces peuples appellent pour savoir si les jeux vont avoir lieu. Cette année, nous avons invité chaque peuple à proposer une discipline qui a disparu de leur pratique culturelle. Cela est important pour la lutte pour récupérer les terres mais aussi pour raviver une mémoire passée. »
T. P. : « C’est plus qu’un rêve. C’est une réalité qui va se réaliser. C’est très fort pour moi de pouvoir accomplir ce rêve de mes parents autochtones des autres peuples. C’est plus qu’un échange culturel. C‘est un honneur. Les Peuples Autochtones du Brésil représentent 3-4% de la population brésilienne. C’est peu. Beaucoup sont décédés ces derniers mois, ces dernières années. Je vous invite tous dans le cadre de l’Institut NHANDEREKO à participer, à nous rejoindre à ces jeux d’une manière ou d’une autre car il est important de se fortifier et de continuer. (…) Avec votre force et votre savoir, il serait important d’accompagner ces peuples qui veulent montrer la force et la richesse de leur culture. C’est aussi une opportunité pour, ensemble, rendre l’espoir à tous ces peuples qui risquent leur vie au quotidien. A tous les Français, je vous invite à nous rejoindre au village de la Terra Indígena Tekoa Ka’aguy Hovy Porã du municipio de Maricá en décembre. »
Merci Tupa Nunes et Delphine Fabbri-Lawson !
Vous pouvez suivre les actualités et activités des intervenants Tupa Nunes et Delphine Fabbri-Lawson sur leurs instagrams: