Les perspectives pour un avis consultatif ambitieux : obligations et responsabilités des Etats
Dans cet article, qui vient clôturer la séquence “Itlos will speak first” (Le tribunal international du droit de la mer se prononcera en premier, en français), il conviendra de s’attarder sur les thématiques centrales et épineuses des questions posées au tribunal, c’est-à-dire celles des obligations, de leurs caractéristiques et de leurs effectivités, ainsi que des responsabilités qui pourraient incomber aux Etats au regard de celles-ci. Les arguments repris seront principalement ceux évoqués lors de la deuxième semaine d’audiences par les Etats parties à la Convention ainsi que celles des organisations internationales et groupements d’Etat accrédités.
Les précédentes thématiques analysées dans les deux derniers articles ont bien évidemment été abordés dans les exposés oraux de la deuxième semaine, mais il s’agit à présent de faire avancer la réflexion globale vers le fond des questions posées par la COSIS. Toutefois, l’articulation de la Convention au régime juridique climatique existant, discussion importante lors des audiences, a été le sujet de nouveaux argumentaires sur lequel le premier paragraphe s’attardera.
Une volonté affirmée de ne pas neutraliser la Convention de Montego Bay
Comme rappelée par de nombreux Etats, et dans le premier article de cette série, l’importance historique de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer pour le droit international ne fait aucun doute, d’autant plus lorsque les mers et les océans couvrent plus de 70% de la surface du globe et sont directement menacés par les conséquences du changement climatique. La vulnérabilité des petits Etats insulaires a largement été argumentée et illustrée par la COSIS et particulièrement soutenue par la participation d’un grand nombre d’Etats insulaires et côtiers également concernés
Pourtant, en raison de l’existence d’un ordre juridique spécialisé dans le changement climatique, certains Etats font prévaloir l’Accord de Paris, restreignant ainsi les obligations relatives à la réduction des GES que le tribunal pourrait formuler aux strictes dispositions de l’accord. Cependant, ce dernier ne prévoit aucune obligation, si ce n’est celle de la publication des contributions déterminées au niveau national (CDN). Les limites de cette articulation restrictive entre Convention et régime climatique ont déjà été abordés dans l’article précédent, mais au regard des nouvelles prises de paroles lors de la deuxième semaine d’audience, un risque et une incohérence majeure ont été soulevés.
En effet, le risque est de neutraliser la Convention et sa portée en limitant ses obligations à celles du régime climatique en vigueur. Si l’interprétation de la Convention doit être pour beaucoup dynamique au regard des nouveaux défis, cela ne doit pas non plus conduire à nier sa portée normative ou sa place centrale dans le droit international en la subordonnant à un autre régime juridique. De plus, d’après l’Union africaine, « les partisans de l’objectif de neutralisation » commettent deux erreurs : ils accordent une importance excessive aux articles 207 et 212 de la Convention qui d’après le Bélize “nécessite[nt] seulement que le Tribunal « prenne en compte » de telles règles externes, rien de moins, mais pas davantage”. La deuxième erreur consisterait à donner une importance trop grande à l’Accord de Paris (et la CCNUCC) qui ne se sont jamais formulés comme le régime exclusif régissant le changement climatique. Des obligations spécifiques pour préserver le milieu marin du changement climatique est la seule manière de donner à la Convention sa pleine portée et d’éviter sa neutralisation.
Le Bélize alerte aussi sur la dangereuse confusion linguistique entre les « ambitions» de l’Accord de Paris et les « obligations » de la Convention. Il reproche à la France notamment son argumentaire dans lequel « l’obligation découlant de la partie XII est fusionnée élégamment avec le langage des engagements et des ambitions ».
Enfin, une incohérence a été soulevée selon laquelle la compétence du tribunal doit se limiter uniquement à l’interprétation de la Convention et ne doit pas s’étendre à d’autres textes qui ne sont pas du ressort du TIDM. Par conséquent, les juges ne peuvent pas interpréter un autre accord spécifique tel que l’Accord de Paris, et encore moins considérer la conformité avec le régime climatique existant comme une condition permettant de satisfaire les obligations de la Convention, le Tribunal n’ayant aucune compétence pour apprécier cette dernière. Ainsi, « il n’est pas possible de dire in abstracto qu’un État satisferait à l’obligation de diligence requise prévue à l’article 194, en respectant un engagement spécifique qu’il aurait pris au titre de l’Accord de Paris », cela sortirait le Tribunal de sa propre compétence d’interprétation.
La norme des 1.5 C° souhaitée comme “minimum irréductible” pour les obligations des Etats au regard de la Convention
C’est l’argument des Etats qui voient dans cet avis consultatif la possibilité de quelque chose de significatif et ambitieux pour lutter contre le changement climatique. Les obligations que la Convention dicte aux Etats parties, pourraient aller au-delà de l’Accord de Paris et fixer une nécessaire réduction des gaz à effet de serre afin de respecter l’objectif des 1,5 C° d’augmentation des températures comparé à l’ère préindustrielle. Pour la COSIS et les Etats qui soutiennent fermement sa demande, cet objectif est un impératif pour protéger le milieu marin des effets néfastes du changement climatique. Il doit donc être retranscrit dans les obligations spécifiques qui seront précisées par le tribunal dans son avis consultatif.
Certains Etats, comme le Mozambique, vont même plus loin et expliquent que cela doit être “le point de départ et non le point d’arrivée”. Effectivement, les preuves scientifiques démontrent que même avec la norme des 1,5 °C, le changement climatique causera des dommages graves et potentiellement irréversibles au milieu marin, et ce particulièrement pour les écosystèmes rares et délicats protégés spécifiquement par le paragraphe 5 de l’article 194.
De ce fait, l’argumentaire autour de cette question s’articule principalement sur le verbe “prévenir” de l’article 194. Ainsi, les obligations au titre de la Convention définies par l’article 194 comme “toutes les mesures qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin”, ne peuvent se réduire à l’Accord de Paris, qu’il serve simplement d’appui à l’interprétation ou qu’il s’impose comme norme juridique supérieure concernant le changement climatique. En effet, l’Accord de Paris ne prévoit que des obligations concernant la maîtrise des gaz à effet de serre mais n’admet pas d’impératif de prévention, et fixe seulement des ambitions (et non des obligations) concernant la réduction. Certains États, dont ceux de l’Union Africaine, affirment alors qu’en vertu de la Convention, les trois verbes, prévenir, réduire et maîtriser, imposent des obligations cumulatives mais distinctes aux Etats parties. Ainsi, les obligations de la Convention devraient inclure, quoiqu’il advienne de l’agencement avec le régime climatique actuel, des obligations spécifiques de réduction et de prévention de la pollution marine par l’émission de gaz à effet de serre.
Et cela l’Australie l’a bien compris, c’est pour cela qu’elle a tenté de défendre dans son exposé oral que la partie XII de la Convention “admet et intègre l’idée qu’il n’est pas possible de prévenir toute pollution tout le temps”. L’obligation de prévention et de réduction serait ainsi requise dans la mesure du possible. Cependant, toujours selon l’Australie, au regard de “l’économie mondiale, et des structures énergétiques actuelles, […] il n’est pas possible en la capacité des Etats de prévenir entièrement des émissions futures”. Les obligations de diligence requise et de maîtrise suffiraient donc à interpréter les obligations de la Convention “jusqu’à ce qu’on atteigne l’objectif de la prévention.”
Le juges devront donc se prononcer sur cette interprétation qui porte en elle une grande partie des revendications de la COSIS souhaitant donner à la Convention sa réelle vocation de protection des océans.
Face à l’irréversibilité des dommages, l’impératif d’effectivité des obligations
Si pour certains, le respect a minima des 1,5°C semble être une condition sine qua non, d’autres critères s’imposent également pour s’assurer de l’effectivité des obligations formulées par le Tribunal. L’Union Africaine parle ainsi du principe d’effet utile qui impose selon elle au Tribunal d’interpréter la Convention de manière à donner plein effet à chacune de ses dispositions pour que ces dernières aient des effets « dans le monde réel où les gens vivent, travaillent et meurent ». La République Démocratique du Congo (RDC) quant à elle dénonce le « déficit d’effectivité » du droit international du climat et appelle en conséquence le Tribunal à « appliquer la Convention de manière à consacrer des obligations qui ne soient pas « abstraites et illusoires », mais « concrètes et effectives ». ».
Le constat est le suivant : le changement climatique causant des dommages différés et irréversibles, il semble difficile de parler de protection effective si la responsabilité des Etats ne peut être engagée au titre de la Convention qu’une fois le dommage produit. La RDC propose ainsi une obligation de prévention à la source permettant d’engager la responsabilité des Etats « avant ce moment fatidique ». Cela inclut donc également les États qui n’auraient pas pris toutes les mesures requises pour être sur la bonne trajectoire pour respecter la limite de 1,5 °C.
Cette exigence d’effectivité se traduirait également par l’accès à la justice. La RDC montre ainsi que l’article 235 de la Convention consacre une obligation de créer et d’assurer des recours efficaces donnant lieu à une réparation adéquate et effective. Cette obligation primaire se concrétiserait ainsi par un droit à un procès équitable et impliquerait une coopération judiciaire internationale. De plus, les dommages causés étant le plus souvent irréversibles, les voies de recours doivent comprendre, non pas des mécanismes de réparations, mais des mesures de cessation d’activité afin de permettre de suspendre l’action nuisible au plus vite,voire avant même son commencement.
Cette effectivité par la prévention fait échos au principe de précaution dont la consécration par la Convention a été demandée par plusieurs pays. Approche qui justifierait l’obligation d’effectuer des études d’impact environnemental mais surtout de réduire drastiquement les émissions de GES.
Au delà des obligations, la reconnaissance d’un droit
Même si la question porte sur les obligations, la France et la Sierra Léone, réclament la reconnaissance d’un droit : celui du droit de réglementation. Ces deux États demandent au tribunal de consacrer aux Etats parties le droit de réglementer pour respecter leurs obligations en vertu de la Convention. A priori rien d’indispensable, mais leurs argumentations soulignent un point intéressant. La reconnaissance de ce droit est nécessaire afin d’éviter que le droit climatique soit subordonné aux droits économiques d’investissement. A ce titre, la Sierra Leone énumère un nombre important d’exemples où les Etats ont été poursuivis par des entreprises pour leurs réglementations climatiques.
Comment sortir de la distinction binaire entre obligations de comportement ou de résultat ?
Évoquée dans une très grande majorité des exposés oraux, la qualification des obligations en vertu de la Convention de Montego Bay, et particulièrement de sa partie XII est l’un des points de tensions et de débats principal de cette procédure. Cette question est tellement centrale que le juge du tribunal Kittichaisaree a demandé explicitement à la COSIS de rendre par écrit des précisions supplémentaires concernant cette qualification.
Alors que les obligations de résultat exigent un résultat garanti, les obligations de comportement exigent des États qu’ils se comportent d’une manière spécifique, qu’un certain objectif soit atteint ou non.
S’appuyant sur cette distinction certains États souhaitent limiter la portée des obligations qui pourraient être requises en vertu de la Convention, car les obligations de comportement sont difficilement opposables et se réfèrent principalement à une obligation de diligence requise. Autrement dit, les États parties devraient faire preuve de bonne foi dans leur réglementation en vue de protéger, ou de ne pas nuire au milieu marin. Pour cela, ils doivent exercer la vigilance requise en s’appuyant notamment sur la science disponible et le principe de précaution. Si cela semble déjà significatif à la France ainsi qu’à l’Union européenne qui défendent qu’une obligation de comportement n’est pas simplement symbolique et que « toute obligation internationale poursuit un but ou, si l’on veut, un résultat, y compris les obligations de “ comportement ” ou de “ moyens ” », il n’en reste pas moins qu’une telle interprétation est défendue par des Etats qui ne souhaitent pas être contraints par le droit international et qui espèrent que le tribunal les laissera s’accorder ensemble sur ce qui leurs semblent nécessaires de faire. Au regard de l’état inquiétant des négociations climatiques, cela semblerait très décevant pour les défenseurs d’un avis consultatif ambitieux. Face à cela, des Etats comme Maurice ainsi que l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) défendent une interprétation des obligations, ou au moins d’une partie d’entre elles, comme des obligations de résultats. Elles suscitent cependant de vives oppositions et reflètent une réticence partagée par un grand nombre d’Etats sur le rôle des juridictions internationales.
Afin de se sortir de ce dilemme, la COSIS et d’autres Etats parties alertent sur cette distinction binaire qu’ils jugent non pertinente. En effet, dans sa réponse au juge Kittichaisaree, la COSIS explique que l‘association de droit international et son groupe de travail sur la diligence raisonnable a abandonné en 2014 cette distinction car elle s’inscrivait dans une dichotomie trop stricte alors qu’il s’agirait plutôt d’un spectre. La COSIS précise que l’assimilation des obligations de diligence raisonnable à des obligations de comportement peut s’avérer problématique pour certains types d’obligations notamment celles qui exigent une réalisation progressive, parfois appelées « obligations orientées vers un but ». De ce fait, la classification des obligations ne peut pas remplacer l’interprétation et l’application des normes elles-mêmes, qui dépendent des termes précis de l’obligation, des faits et des circonstances de l’affaire. Ainsi, dans le cadre de leur demande, il serait plus pertinent d’insister sur les attentes spécifiques attachées à la diligence requise, car celle-ci ne peut être suffisante lorsqu’elle est seulement qualifiée d’obligation de moyen ou de comportement. La convention exige des Etats de prendre “toutes les mesures nécessaires” et celles-ci vont au-delà d’un simple principe de vigilance.
D’autre Etats arguent que les articles 206 et 204 sont d’une importance particulière pour dépasser cette distinction car les Etats doivent mener des actions de suivi et d’évaluation lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser qu’une activité puisse être nuisible pour le milieu marin. Cela reviendrait donc à évaluer une activité qui émettrait une quantité de GES importante. Cette obligation a déjà été consacrée par le tribunal dans son avis consultatif sur les activités menées dans la Zone mais concernant d’autres formes de pollution. Comme l’illustre le Bélize, si une activité envisagée est évaluée avec une forte possibilité d’émettre du méthane alors “les obligations de diligence requise de l’article 194 exigeraient probablement, non seulement un comportement, mais aussi un résultat spécifique sur la forme d’une décision selon laquelle l’activité envisagée ne pourrait pas être entreprise comme prévu.”.
La responsabilité des Etats : sujet central ou hors sujet ?
La centralité du débat autour de la qualification des obligations a eu pour effet d’éclipser en partie les argumentaires autour du régime de responsabilité des Etats. En effet, pour les pays susceptibles d’endosser certaines responsabilités, l’argument de l’obligation de comportement leur a permis d’aborder succinctement le sujet voire de le passer sous silence. L’Australie par exemple ne reconnaît pas d’obligations relatives aux émissions de GES ni donc de responsabilité individuelles vis-à -vis des dommages sur le milieu marin. En effet, cela ne « rendrait pas compte de la complexité des causes et effets » du phénomène, arguments également avancés par la Chine. Pour l’Indonésie le constat est similaire : les obligations au titre de la Convention doivent être interprétées par le prisme de l’Accord de Paris, accord qui ne comporte aucune disposition relative à la responsabilité des Etats qui ne parviennent pas à respecter leur CDN. Ainsi, comme la Chine l’a bien souligné, l’émission de GES d’origine anthropique ne constitue pas un acte internationalement illicite. Par conséquent, le système de responsabilité prévu par la Convention ne pourrait s’appliquer. La Lettonie et l’Italie considèrent quant à elles que la question de la responsabilité est hors sujet, la COSIS n’ayant pas employé ces termes exacts dans les questions, questions qui se rapporteraient exclusivement aux obligations primaires et non pas secondaires de la Convention. Cette distinction n’est pas anecdotique puisque les obligations primaires sont issues directement des traités tandis que les obligations secondaires sont la conséquence de la violation des premières. Ce sont donc des obligations liées à la mise en œuvre de la responsabilité internationale des Etats. Sans obligation secondaire, les Etats n’encourent donc aucune conséquence en cas de non-respect des obligations primaires.
La Micronésie réplique en expliquant que la formulation même des questions n’empêche pas une interprétation large du terme « obligations ». En effet, la demande de la COSIS y fait référence sans faire de distinction entre les règles primaires et secondaires, et le Tribunal pourrait tout à fait adopter une « perspective holistique » sur ce plan. Maurice invite ainsi explicitement le Tribunal à confirmer que l’article 235, disposition précisant que « tout État est responsable du respect de ses obligations de protéger et de préserver le milieu marin des effets du changement climatique, et qu’un manquement par rapport à ces responsabilités donnerait lieu à une responsabilité au regard du droit international », s’applique au changement climatique et ses conséquences. En effet, les obligations spécifiques auxquelles les deux questions se réfèrent ont directement trait aux questions de responsabilité. Pour Maurice, passer sous silence cette dimension encouragerait seulement les États « à ne rien faire ».
Le devoir de coopération : une obligation consensuellement reconnue mais aux interprétations divergentes
L’obligation de coopération au titre de l’article 197 de la Convention a été soit mentionné soit reconnu par une grande majorité d’Etats comme mécanisme de lutte contre les effets des émissions de GES sur le milieu marin. Si cette dernière fait aussi peu débat sur son existence, c’est sans doute parce qu’elle a dors et déjà été reconnue par le Tribunal dans l’affaire de l’usine MOX.
C’est sur la question de la portée et des implications de ce devoir de coopération que les divergences apparaissent. Si de l’UE, à l’Australie en passant par l’Arabie Saoudite on reconnaît ce devoir, la COSIS nous met en garde : « La coopération est nécessaire mais ne soustrait pas les Etats à leurs obligations individuelles et encore moins les Etats aux économies développées ». En effet, l’Australie présente le devoir de coopération comme une obligation de comportement essentielle dont elle s’acquitte dors et déjà en se conformant aux objectifs de la CCNUCC et de l’Accord de Paris. Une interprétation beaucoup trop réductrice et erronée pour les Etats fédérés de Micronésie qui soulignent qu’être Etats parties à la CCNUCC et à l’Accord de Paris ne saurait être suffisant pour remplir les obligations de coopération au titre de la convention et ne permettrait en aucun cas aux Etats de se soustraire à leurs obligations individuelles. Les Comores précisent ce point en démontrant que la faillite de l’action collective entraînant l’impossibilité d’une prévention totale du dommage n’est pas une raison pour un État de se défaire de ses responsabilités individuelles. Ils citent notamment la Cour internationale de Justice et l’affaire de l’Application de la Convention sur le génocide, dans laquelle il a été jugé que « peu importe […] que l’Etat dont la responsabilité est recherchée allègue, voire qu’il démontre, que s’il avait mis en œuvre les moyens dont il pouvait raisonnablement disposer, ceux-ci n’auraient pas suffi à empêcher » le fait à prévenir.
Le devoir de coopérer, reconnu par l’UICN comme une obligation de résultat, implique ainsi, à titre non exhaustif, de participer de bonne foi aux efforts internationaux d’élaboration et d’harmonisations des normes internationales, de fournir des ressources financières afin d’aider les pays en développement en matière d’atténuation et d’adaptation ainsi que d’améliorer leur capacité à prendre des mesures efficaces notamment par des processus d’assistance et de transferts de technologies.
Des obligations guidées par les principes d’équité et de responsabilités communes mais différenciées
Si coopérer est consensuellement reconnu comme nécessaire pour lutter contre les effets nuisibles du changement climatique sur le milieu marin, il est impératif de le faire de manière équitable. C’est pourquoi, un grand nombre de pays, notamment l’Union africaine et des petits Etats insulaires, ont insisté sur la nécessité d’intégrer le principe de responsabilités communes mais différenciées dans l’interprétation des obligations au titre de la Convention. Pour ces pays, ce principe est une règle pertinente de droit international applicable dans ce contexte et consistant à prendre en considération les différences de capacités, de développement économique et de responsabilités historiques des Etats, insistant par là même sur un respect des obligations qui ne s’applique pas uniformément aux États parties. Pour la RDC et d’autres, la nécessité et la pertinence de ce principe part d’un constat paradoxal : Les Etats les plus responsables historiquement disposent des meilleurs moyens de lutte et sont les moins touchés tandis que les Etats les moins responsables sont les plus touchés et donc historiquement ceux avec les moins de moyen de lutter contre les conséquences du changement climatique.
Si ce principe est reconnu par la communauté internationale dans différents textes, la RDC et l’UE mettent en garde contre une instrumentalisation de ce dernier : « la différenciation est dangereuse lorsqu’elle donne aux États un prétexte pour se soustraire à leurs responsabilités. Mais elle est appropriée et même nécessaire lorsqu’elle consiste à alléger la charge des pays en développement et les plus vulnérables ».
Il n’en reste pas moins que la différenciation est « une manifestation de l’équité dans les relations internationales contemporaines ». De plus, ce principe n’existe pas seulement pour satisfaire une exigence de justice mais également dans l’intérêt à la fois des États les plus vulnérables et les plus démunis, mais aussi et surtout dans l’intérêt de la planète toute entière. Pour reprendre le proverbe africain cité par M. Mingashang : « lorsque la case du voisin brûle, il serait dangereusement naïf de rester indifférent chez soi en attendant que l’incendie atteigne sa porte ».
La réponse des juges est particulièrement attendue et aura du poids dans l’interprétation du droit international dans son ensemble. Comme le rappelle à juste titre le Professeur Sands lors de sa prise de parole pour Maurice : « le langage du droit, du droit international, notre langage commun, est indispensable de par son influence sur les conditions qui régissent les comportements et les actions. Votre avis peut faire autorité, aider les juridictions nationales et internationales, orienter non seulement les États, mais aussi les organisations internationales, les entreprises et les acteurs non étatiques ».
Autrices :
- COUCHENE Lolita, étudiante dans le grade master “Générations Futures et Transitions Juridiques” de Sciences Po Rennes, chargée de campagne française pour World’s Youth For Climate Justice. Mémoire de recherche 2022-2024: “Approches décoloniale et transgénérationnelle du droit à la paix”
- BIDAUBAYLE Altynaï, étudiante dans le grade master “Générations Futures et Transitions Juridiques” de Sciences Po Rennes, chargée de campagne française pour World’s Youth For Climate Justice. Mémoire de recherche 2022-2024: “Le contentieux climatique : limites et opportunités pour la justice transgénérationnelle”
(1) Mots prononcés par M. Payam Akhavan lors de la prise de l’exposé oral de la COSIS le 11 septembre 2023 au matin, soulignant la responsabilité historique du tribunal dans la vague d’avis consultatif qui secoue le droit international.
(2) Le premier article aborde l’importance historique de cette affaire et les demandes spécifiques de la COSIS. Le deuxième s’attarde sur les premières questions soulevées lors des premiers exposés oraux concernant la compétence du tribunal, la recevabilité des questions, mais aussi les questions d’interprétation dynamique de la Convention et son articulation avec le régime juridique climatique existant ou sa possibilité d’ouverture aux droits humains.
(3) TIDM, Usine MOX (Irlande c. Royaume-Uni),mesures conservatoires, 2001, affaire N° 10.
(4) Principe 7 de la Déclaration de Rio ; Article 3 de la CCNUCC; Préambule et article 2 de l’Accord de Paris