LA JUSTICE TRANSITIONNELLE COMME MOYEN DE REAFFIRMER LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES?
Cette rencontre a été organisée dans le cadre de la 22ème session de l’Instance Permanente des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, tenue du 17 au 28 avril 2023.
Ce webinaire organisé en ligne a permis la participation d’experts et d’autorités autochtones qui ne se trouvaient pas à New York pendant la session.
Cet espace de dialogues entre représentants autochtones et spécialistes de la justice transitionnelle a été organisé par Leslie Cloud et Laetitia Braconnier Moreno. La vidéo en français de cette rencontre est disponible sur le site de la Chaire d’excellence CNRS Normandie pour la Paix.
Ce webinaire fait suite à une première mission menée à Santiago du Chili en novembre 2022 par Emilie Gaillard et Leslie Cloud dans le cadre de la première réunion internationale d’experts de l’UNPFII sur la justice transitionnelle et les peuples autochtones, présidée par Darío Mejía Montalvo du peuple Zenú, président de l’UNPFII. Un compte rendu de cette rencontre internationale et le rapport issu de cette réunion sont disponibles sur le site de la Chaire.
- Premier panel avec la directrice de l’IJFD et des représentants autochtones du Burundi et du Mali
Magalie Besse, docteure en droit public et directrice de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, organisme spécialiste de la justice transitionnelle et des questions de démocratisation, a présenté les activités menées par les pôles recherche, formation et action de l’IFJD, en l’espèce dans l’axe thématique peuples autochtones et participation. Comme l’a souligné Mme Besse, dans le domaine de la justice transitionnelle, il s’agit de lever les barrières qui empêchent l’accès des peuples autochtones aux processus de justice transitionnelle et de démocratisation mais aussi d’initier les peuples autochtones sur ces questions.
Elle a ensuite présenté les actions menées par l’IFJD en République Cenrafricaine pour soutenir la prise en compte des violences commises à l’encontre des Ba’aka par les membres de la Commission Vérité Réconciliation de Centrafrique (CVRR). Ces activités s’inscrivent dans un programme d’actions plus large du bureau de l’IFJD en Centrafrique qui mène des activités de soutien à la CVRR, d’accompagnement des femmes victimes de violences sexuelles ainsi qu’un programme peuples autochtones de Centrafrique, pour l’instant centré sur la situation des Ba’aka. A cet égard, une étude de l’IFJD a été menée en 2021 en RCA et essentiellement dans la province de la Lobaye avec le soutien de l’organisation locale La Maison de l’enfant et de la femme pygmée, pour enquêter sur les violences subies par les Ba’aka pendant la crise de 2013, 2014 et 2015, recueillir leurs attentes en termes de justice, leurs souhaits de participer au processus de justice transitionnelle en cours et identifier les réparations sollicitées. Les informations recueillies auprès des victimes Ba’aka ont permis de sensibiliser les membres de la CVRR sur leur situation pendant la crise et aujourd’hui, sur la nécessité d’assurer leur participation au processus de justice transitionnelle et de mettre en place des réparations et des garanties de répétitions spécifiques, culturellement adaptées et correspondant à leurs besoins. Ces enquêtes de terrains ont également permis de confirmer la grave situation économique, sociale (absence d’accès à la santé, l’alimentation et l’éducation) et de violence quotidienne dans laquelle se trouvent encore aujourd’hui les Ba’aka et qui constitue également un frein à leur participation à la justice transitionnelle.
L’IFJD a ainsi formulé des premières recommandations préalables d’ordre humanitaire en faisant appel à des ONG qui travaillent dans les domaines de la santé, de l’alimentation et de l’éducation afin de soutenir les victimes Ba’aka. Comme l’a indiqué Magalie Besse, l’accès à la justice transitionnelle est conditionné par l’urgence que les victimes retrouvent une dignité.
Magalie Besse s’est ensuite référée au processus exploratoire actuellement mené dans le cadre du projet « Guyane française » autours des homes indiens. Les homes indiens sont des pensionnats catholiques avec lesquels l’État avait passé des contrats pour y placer des enfants autochtones et bushinengue. Les homes indiens leur ont causé d’importants dommages, en générant notamment une rupture entre les enfants et leurs familles et en empêchant la transmission de leur identité, culture, savoirs faire, mode de vie, etc. Cette situation n’a jamais donné lieu à des réparations et demeure complexe et non résolue aujourd’hui encore pour les jeunes autochtones et bushinengue qui ne résident pas dans les grandes villes.
Le processus exploratoire en cours vise à identifier la pertinence de la mise en place d’une commission vérité mais aussi sa nature, à savoir une CVR créée par l’État ou bien portée par des acteurs non étatiques en cas de refus de l’État afin de rendre compte de la Vérité, obtenir des Réparations et mettre en place des Garanties de non répétition.
Aminata Diallo : les enfants soldats autochtone et la justice transitionnelle au Mali.
La présentation suivante sur les défis de la justice transitionnelle au Mali dans le contexte des enfants soldats autochtones a été réalisée par Aminata Diallo, chercheuse touarègue et peule du Mali, membre du projet Ărramăt et de l’association tinhinane.
Elle a rappelé que bien que de nombreux accords de Paix ont été signés au Mali, parmi lesquels, les Accords d’Alger signés en 2015, le conflit perdure et évolue du nord du Mali vers le centre du pays. Les Accords d’Alger s’articulent autour de quatre axes : politiques institutionnelles, sécurité et défense ; développement économique social et culturel; vérité justice réconciliation et questions humanitaires.
Elle a souligné qu’au Mali, les peuples autochtones sont fortement touchés par la violence qui affecte les localités où ils résident. Après les attaques terroristes de 2012, le phénomène des enfants soldats a été mis en lumière au Mali. Si on estime que 40% des enfants soldats se trouvent en Afrique, au Mali, la majorité est issue des peuples autochtones, dont les droits ne sont pas reconnus par le droit malien. Se pose ainsi la question de leur rôle dans le conflit et des moyens pouvant être mobilisés au niveau de la justice transitionnelle pour mettre fin à la situation des enfants soldats autochtones, les rétablir dans leurs droits et préserver leur identité et leur culture menacées par le conflit qui a imposé une culture des armes sur les cultures autochtones.
Dans ce contexte, l’étude qu’elle a menée à partir d’une recherche de terrain réalisée à Kidal, Tombouctou, Gao, Mopti, Menaka et dans la capitale s’intéresse au rôle de ces enfants soldats, à l’impact de leur participation au conflit et à celui du conflit lui-même sur leur communauté, ainsi qu’aux enjeux et aux défis de la justice transitionnelle à l’égard des enfants soldats autochtones au Mali. Son étude a identifié un lien entre la situation des enfants soldats et l’insécurité croissante au Mali. Elle a aussi confirmé l’échec de la justice ditionnelle malienne à assurer la participation des peuples autochtones dans les Accords de paix et à prendre en compte la situation spécifique des enfants soldats autochtones, lesquels ne font notamment pas l’objet de politiques spécifiques de réintégration. Actuellement, cette délicate et nécessaire mission est gérée sans spécificité par le programme du DDR (désarmement-démobilisation-réinsertion), cependant destiné aux personnes majeures et par les Centres de transit et d’orientation (CTO) auprès des mineurs (non spécifiques aux enfant soldats), lesquels souffrent en outre d’un financement précaire.
Elle a par ailleurs rappelé l’importance de mettre en place des infrastructures destinées aux enfants et peuples autochtones dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’accès au développement et de former les peuples autochtones à leurs droits.
En réponse aux questions soulevées sur sa présentation, elle appelle au soutien de la recherche sur la situation des enfants soldats autochtones, à la médiatisation de ces questions ainsi qu’à la poursuite des réflexions sur la réintégration des enfants soldats autochtones dans leurs familles, leurs communautés et au sein de la société malienne.
Pour compléter cette présentation, nous conseillons la lecture du texte de son intervention à la réunion d’experts de l’ONU de novembre 2022 sur la Justice transitionnelle et les peuples autochtones.
Vital Bambanze sur la participation des Batwa à la justice transitionnelle au Burundi
A la suite de sa présentation, Vital Bambanze a pris la parole pour parler de l’impact des crises et des violences subies au Burundi par les Batwa et discuter de leur place dans le processus de justice transitionnelle en cours.
Vital Bambanze est Mutwa du Burundi, membre de l’Instance Permanente de l’ONU sur les questions autochtones, ancien sénateur du Burundi, membre de l’Association Unissons nous pour la promotion des Batwa (UNIPROBA), du Comité de coordination des peuples autochtones d’Afrique (IPACC) et du réseau des peuples autochtones d’Afrique centrale pour la gestion des écosystèmes (REPALCA). Revenant sur son parcours personnel, il a souligné les nombreuses barrières institutionnelles qui empêchent l’accès des Batwa à l’éducation et a indiqué avoir été le premier Mutwa à avoir eu accès à l’université au Burundi malgré les très fortes discriminations endurées.
Il a rappelé que la justice transitionnelle ne doit pas uniquement se concentrer sur les origines du conflit mais qu’elle doit aussi identifier les causes qui empêchent les groupes les plus vulnérables, comme les peuples autochtones, de jouir de leurs droits en tant que citoyens sur un pied d’égalité avec les autres citoyens. A cet égard il a rappelé les réticences des États africains à reconnaître l’existence des peuples autochtones sur leurs territoires.
Au Burundi, où une CVR est entrée en fonction en 2014 pour enquêter sur les violences survenues entre 1885 et 2008, les Batwa, qui ne représentent qu’un pour cent de la population, souhaitent participer au processus de justice transitionnelle en cours et que des enquêtes soient menées sur les conséquences que les crises et les conflits ont eu sur leur population, notamment sur l’impact économique de la crise. A cet égard, il explique que l’économie de subsistance des Batwa basée sur la vente de leur poterie a été considérablement altérée par le conflit et par l’octroi de biens et d’ustensiles de cuisine modernes aux victimes de sorte que les poteries Batwa ne sont plus recherchées comme avant. Il signale par ailleurs que les Batwa ignorent les tenants et aboutissants des conflits et violences subies et qu’ils ont été pris à partie tant par l’armée que par les groupes rebelles qui ont procédé à des recrutements parmi leur population.
Il appelle ainsi à la création d’une Commission qui représente l’ensemble des peuples du Burundi et réécrive l’histoire du Burundi avec les Batwa pour assurer leur reconnaissance et décider ensemble des réparations et des garanties de non-répétition à mettre en place.
A l’issue de cette présentation, Magalie Besse a rappelé les enjeux de la représentation dans les instances de la justice transitionnelle et les réflexions qui doivent se poser sur le nombre des représentants autochtones, leur qualité et leur mode d’élection ou de nomination: Qui est légitime pour représenter les communautés? Elle a également souligné la distinction à faire entre les CVR généralistes et les CVR spécialisées sur les questions autochtones comme celle créées au Canada, en Australie, aux Etats-Unis en Suède ou en Norvège et qui se chargent spécifiquement des violences subies par les peuples autochtones.
- Deuxième panel avec les autorités autochtones de Colombie et du Guatemala
Dans le cadre de l’une des sessions de l’édition 2023 de l’UNPFII, l’ambassadrice de la Colombie aux Nations unies, Mme Eleonor Zalabata, femme arhuaca, a exprimé que l’UNPFII était un espace de reconnaissance et de réparation historique. En échos à cette affirmation, les questions suivantes ont été formulées auprès des trois invités de ce second panel : Quels mécanismes de réparations historiques seraient adaptés ? Dans quelle mesure les mécanismes de justice transitionnelle peuvent renforcer les droits territoriaux des peuples autochtones ?
La guerre et le contexte du conflit ont ouvert de grandes opportunités pour le secteur des entreprises qui bénéficient aujourd’hui de ces processus industriels (Amilcar Pop)
Le premier intervenant, Amílcar Pop, avocat du peuple Maya Q’eqchi‘, est membre du Congrès de la République du Guatemala et du parlement centraméricain, où il préside la Commission des peuples autochtones et afro-descendants. Il a été professeur universitaire et est président de l’Association des avocats Maya. En tant qu’avocat militant, il a plaidé devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme où il a notamment défendu les droits des peuples autochtones à la terre et au territoire. Il a rappelé que le conflit armé a causé plus de 250 000 victimes, parmi lesquelles 50 000 demeurent encore disparues.
Sur les caractéristiques du conflit, plus tard qualifié de génocide par la Cour Constitutionnelle du Guatemala (Corte de constitucionalidad), il a expliqué que « les circonstances et la réalité historiques nous démontrent que ce ne fut pas tant un conflit idéologique mais plutôt un mécanisme d’appropriation des territoires autochtones ». En effet, aujourd’hui, ces territoires sont touchés par « de grand conflits d’exploration et d’exploitation minière, de constructions de centrales hydroélectriques et d’exploitation pétrolière ».
En 1996, les Accords de paix, ont été signés avec peu de participation autochtone. Ces accords qui prévoient la protection des droits collectifs des peuples autochtones, se sont trouvés confrontés à trois secteurs de la population : “le secteur des entreprises, blanc et raciste, le secteur militaire qui souhaite demeurer dans l’impunité et le secteur politique, avec une pensée radicale opposée aux droits de l’homme et à la mémoire historique ”.
Comme fruit de ces accords, ont émergé une juridiction agraire pour résoudre les conflits historiques pour la terre, une commission présidentielle contre le racisme et un fond de développement autochtone. M. Amilcar Pop a cependant alerté sur la situation critique vécue par ces institutions créées afin de résoudre certains conflits. Leur affaiblissement progressif et leur récente suppression ont provoqué de graves préjudices, notamment l’isolement de nombreux peuples, des atteintes à la justice de transition ainsi qu’à la souveraineté alimentaire.
Selon le député, les peuples autochtones affrontent une situation d’impunité similaire à celle connue après le conflit, marquée en particulier par l’expulsion d’importants acteurs de la lutte contre l’impunité ou leur exil hors du pays, comme l’illustre l’expulsion emblématique d’Iván Velásquez en août 2022, lequel était à la tête de la Commission internationale de l’impunité. Cette persécution est aggravée par un processus de criminalisation des dirigeants autochtones. A cet égard, le député a évoqué l’émission de plus de 540 mandats d’arrêt à leur encontre.
“L’approche des peuples autochtones aux dommages, à la gravité des faits, est distincte. Elle émerge du ressenti, de la manière de penser, de faire et de comprendre la vie en des termes différenciés.” (Belkis Izquierdo)
La parole a ensuite été confiée à Mme la Magistrate Belkis Izquierdo, femme autochtone du Peuple Arhuaco, la première autochtone à avoir été nommée magistrate d’une haute Cour de justice. Depuis les débuts de la Juridiction Spéciale pour la Paix, après l’Accord de Paix de 2016, elle est magistrate de la Salle de Reconnaissance de la Vérité et Vice-Présidente du tribunal.
Après avoir évoqué les “dommages graves, étendus et durables” dont les peuples ethniques de Colombie ont fait l’objet, elle a souligné que ces derniers ont participé à la construction d’une “paix durable, au progrès et au développement économique et social du pays”.
Elle a énoncé les différents moyens instaurés pour restaurer les droits des peuples dans le cadre du processus de paix initié en Colombie, lequel a permis le jugement de chefs de la guérilla des FARC et de chefs militaires, auteurs de crimes contre l’humanité. Elle a par ailleurs rappelé que les mécanismes et les procédures de la Juridiction spéciale pour la paix doivent suivre une approche ethnico-raciale et que ses règles internes et son cadre normatif avaient fait l’objet de consultations auprès des peuples autochtones. Elle a expliqué qu’ainsi, pour la première fois, des instruments de justice transitionnelle avaient fait l’objet d’une consultation auprès de peuples ethniques.
Elle a également insisté sur la nécessité d’adopter une nouvelle approche auprès des peuples autochtones pour qu’ils cessent d’être perçus uniquement comme des victimes par la justice, et soient reconnus comme des participants au sein du processus de paix à part entière. Elle a relevé le rôle précieux exercé par les huit juges autochtones et afro-colombiens de la JEP pour rendre compte des systèmes de justice des différents peuples autochtones. Elle a par ailleurs évoqué la nécessité de mettre en place une relation d’égalité entre les magistrats autochtones et afro-colombiens et leurs collègues. La magistrate arhuaca a rappelé que dans les cas où les accusés et/ou les victimes invoquent une appartenance ethnique, les autorités autochtones et afro-colombiennes de leurs territoires d’origine, sont invitées à participer aux audiences en tant qu’intervenants spéciaux “pour défendre l’ordre culturel, ancestral et territorial”.
Selon la magistrate, la méconnaissance, par le droit ordinaire, des biens juridiques protégés par les justices autochtones, est la conséquence d’une forte discrimination tant épistémologique qu’à l’égard des sources du droit des peuples autochtones à la justice transitionnelle. Dans un tel contexte, les apports des peuples autochtones se limitent aux discours et à la logistique sans permettre les transformations substantielles nécessaires à la réparation et la réconciliation attendues par les victimes.
Elle a également souligné le rôle sensible des autorités territoriales des peuples et des juges ethniques pour comprendre les situations de déséquilibre vécues par ces peuples. A cet égard, elle s’est spécialement référée à des biens qui ne sont habituellement pas protégés par le droit ordinaire, comme le territoire et la nature. Elle invite ainsi à cesser de placer l’humain au centre, à penser comment réparer le territoire, les biens sacrés, culturels et civils et à revenir aux justices autochtones comme sources de la justice transitionnelle : « Elle souligne qu' »ils devraient prendre en compte les principes, les rationalités et les logiques de leurs systèmes de justice visant à rechercher la vérité du point de vue de la conscience, de la réconciliation, de la guérison et de l’harmonisation entre les victimes et les accusés, ce qui renforcera le processus communautaire, ainsi que l’harmonisation du territoire ». ».
Pour compléter cette restitution, nous recommandons la lecture du texte de son intervention.
“Tant que les lois sont contraires aux manifestations de la nature, nous n’avons pas à leur obéir” (Ariel Hormiga)
Finalement, afin de rendre compte d’une vision de la justice transitionnelle depuis les territoires, nous avons dialogué avec Ariel Hormiga, qui se présente comme libérateur de la terre Mère du Peuple Nasa. Il a participé à la rencontré depuis un territoire du Nord du Cauca en Colombie, territoire actuellement en conflit entre des groupes armés. Dans ce contexte, pendant la rencontre, Ariel Hormiga a dû résoudre une situation d’urgence qu’il n’a pas pu commenter pour des raisons de sécurité. Cette situation a engendré des problèmes de connexion pendant la discussion.
Ariel Hormiga a expliqué que face aux conflits territoriaux qui portent atteinte aux cosmovisions des peuples, la Guardia Indígena réalise un travail de récupération des terres qui appartenaient de manière ancestrale aux peuples autochtones. Une fois le travail spirituel et culturel réalisé, les terres libérées sont réinvesties par les peuples autochtones afin qu’ils y organisent leurs « plans de vie », leur propre organisation socio-économique : “nos modes de vie passent au- dessus de ce que nous appelons aujourd’hui les droits de l’homme, tellement remis en cause par les institutions. Nos projets de vie sont au-dessus de l’humanisme traditionnel et au-dessus des politiques déjà caduques”.
Interrogé sur les principes qui fondent le droit propre autochtone, il a souligné qu’il était important de sélectionner et de cultiver les graines, les semences tout en évoquant le principe d’intégrité qui permet d’être plus combatif pour « maintenir vive la dignité » ainsi que le principe de spiritualité mis à mal par l’idéologie coloniale.
A la fin de la rencontre, les invités ont recommandé d’envisager la justice transitionnelle à partir d’une approche interculturelle et du vécu des territoires. A cet égard, Amilcar Pop a souligné la crise que traversent aujourd’hui les institutions judiciaires au Guatemala. Il a dénoncé la gravité de la suppression des institutions autochtones qu’il a associée au retard pris dans la mise en marche de la juridiction agraire.
La magistrate Belkis Izquierdo a également insisté sur la nécessité de prendre en compte les conséquences juridiques de l’ensemble des dommages soufferts par les peuples autochtones afin que les victimes et le territoire bénéficient de réparations culturellement adaptées.
A la question de savoir s’il incombe aux justices autochtones de trouver des solutions aux dommages causés par des acteurs externes sur leurs territoires, il a été rappelé que les peuples autochtones ne sont pas responsables des extractions de ressources naturelles pratiquées par les acteurs privés. Au contraire, ils sont les principales victimes des conflits socio-environnementaux encouragés par les conflits armés.
« S’ils ne nous écoutent pas en tant qu’autorités alors que nous avons nos propres systèmes de justice, alors, nous perdrions une opportunité” (Belkis Izquierdo)
Les invités ont également insisté sur la place des justices autochtones dans les processus de justice transitionnelle. La magistrate arhuaca a reconnu que les justices ethniques sont d’autres victimes de la guerre tout en insistant sur le fait qu’elles ne doivent cependant pas rester dans ce rôle de victime. Leur fragilisation par le conflit ne doit pas être un argument pour ne pas les considérer comme source de justice de la JEP. A cet égard, elle a défendu l’idée selon laquelle le recours aux systèmes de justice autochtones apporte non seulement des solutions pour réparer les dommages subis, mais qu’il peut également constituer en soit une réparation historique pour les modes d’organisations autochtones.
Enfin, la Magisrate Belkis Izquierdo ainsi que le libérateur de la terre Mère, Ariel Hormiga ont souligné l’importance d’associer les autorités spirituelles et le travail spirituel aux processus de justice transitionnelle et de réparation historique. L’aspect cultuel doit être sérieusement pris en compte à l’heure d’harmoniser les territoires. En ce sens, la magistrate arhuaca a expliqué la nécessité d’une reconnaissance des autorités spirituelles par la JEP de sorte qu’elles puissent intervenir au sein des audiences et être la voix des territoires.
La rencontre s’est terminée avec une pensée pour les organisations autochtones de Guyane française qui s’organisent pour la recherche de la vérité sur les processus coloniaux qui ont causé de graves dommages à l’enfance amérindienne dans le cadre des “homes indiens”.
Un grand merci à tous les participants.