Palais de la Paix – La Haye
L’Université de Leiden et l’organisation Blue Ocean Law ont organisé conjointement une conférence traitant des potentialités que représenterait une demande à la CIJ d’un avis consultatif (AC) sur le changement climatique. Les intervenants ont discuté des perspectives de la campagne d’avis consultatif et des impacts potentiels des nouvelles orientations de la CIJ sur le changement climatique.
La conférence a rassemblé des juristes et des praticiens internationaux, y compris des avocats impliqués dans des litiges climatiques ainsi que des parties prenantes dans des initiatives juridiques émergentes visant à lutter contre les changements climatiques par des procédures légales.
La première journée de conférence a porté sur des jugements historiques tant au niveau national, comme Urgenda c. Pays-Bas que sur des décisions plus récentes d’organismes internationaux, comme Sacchi c. Argentine. Un groupe d’experts a discuté du rôle des tribunaux et des organismes nationaux et internationaux dans l’application des lois sur le changement climatique.
Le premier panel a proposé de mettre l’accent sur l’affaire Urgenda en tant que « tournant en matière de droits de l’homme » dans les litiges climatiques. Cette affaire est considérée comme une première occasion offerte à des individus d’obliger leurs États à respecter leurs engagements et montre ainsi la volonté des tribunaux de traiter ce genre d’affaires, en utilisant l’outil des droits de l’homme pour appuyer positivement l’action climatique.
La première intervenante, Mme Fadjar SCHOUTEN-KORWA, avocate internationale en droits de l’homme et membre de l’Organisation néerlandaise de coopération pour la Papouasie occidentale, a mis l’accent sur la façon dont le changement climatique affecte les droits des peuples autochtones. Les peuples autochtones représentent 5 % de la population mondiale, mais 18 % de la biodiversité mondiale est la base de leur vie quotidienne et de leur survie. À mesure que la biodiversité décline, les peuples autochtones sont les premiers à faire face aux effets du changement climatique. Par conséquent, il semble urgent d’intégrer les connaissances traditionnelles des peuples autochtones en tant qu’expertise cruciale et nécessaire à la protection des écosystèmes. Elle mentionne sa propre expérience et son expertise en matière de violation des droits fondamentaux des peuples autochtones de Papouasie occidentale. Le peuple papou a été opprimé et marginalisé. Le commerce international et la mondialisation ont profondément modifié leur mode de vie et provoqué la surexploitation des ressources locales. Ailleurs aussi, les droits des peuples autochtones sont violés par des lois et politiques nationales, comme en Indonésie. Mme Fadjar SCHOUTEN-KORWA a souligné l’approche coloniale persistante dans le monde économique et politique, en abordant l’exemple des énergies renouvelables et notamment l’extraction des minéraux qui a un impact sur les écosystèmes locaux. Pour lutter contre ces abus, la protection des droits à la vie et à la vie familiale a été soulevée.
Le deuxième intervenant, Freerk VERMEULEN, de NeutaDutilh, a parlé de l’affaire Urgenda. L’affaire climatique d’Urgenda contre le gouvernement néerlandais a été la première au monde dans laquelle les citoyens ont établi que leur gouvernement a le devoir légal de prévenir les changements climatiques dangereux. Le 24 juin 2015, le tribunal du district de La Haye a décidé que le gouvernement devait réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici la fin de 2020 (par rapport aux niveaux de 1990). La décision exigeait que le gouvernement prenne immédiatement des mesures plus efficaces pour lutter contre les changements climatiques. La décision du tribunal de district a fait l’objet d’un appel de l’État et a été confirmée par la Cour d’appel le 9 octobre 2018. Suite à cet arrêt, l’État a fait appel devant la Cour suprême. La Cour suprême a statué en faveur d’Urgenda le 20 décembre 2019. L’affaire climatique, qui a été présentée au nom de 886 citoyens néerlandais, a fait du changement climatique un enjeu politique et social majeur aux Pays- Bas et a transformé la politique intérieure en matière de changement climatique. Pour compléter cette amélioration, l’AC pourrait donner plus de légitimité aux juges pour développer de nouveaux arguments sur les litiges climatiques.
Mme Jennifer ROBINSON, avocate britannique et membre de la Doughty Street Chamber, a été la dernière de ce panel à prendre la parole. Elle a évoqué son expérience personnelle et a fait le lien avec la façon dont, selon elle, un AC pourrait être une étape importante vers une meilleure prise en compte des engagements environnementaux des États. Elle a donné l’exemple de la fracturation hydraulique au Royaume-Uni, qui est largement considérée comme une étape vers une économie à faibles émissions de carbone, mais cette pratique contribue en réalité à accroître le changement climatique. Elle s’est ensuite concentrée sur la justice climatique et les droits des peuples autochtones. Les changements climatiques menacent l’intégrité territoriale et compromettent la capacité des gens de vivre normalement et de profiter de leur environnement. L’autodétermination, qui, soit dit en passant, est un droit humain fondamental, est également menacée. C’est pourquoi un AC pourrait être d’une très grande aide, en rassemblant les pays du monde entier autour des questions climatiques et en clarifiant ce que la loi ne rend pas suffisamment limpide.
Le deuxième panel, présidé par Mamadou HÉBIÉ de l’Université de Leiden, s’est concentré sur la question du changement climatique devant les tribunaux internationaux.
Le premier intervenant, Marcelo KOHEN de l’Institut d’études supérieures en développement international et Secrétaire général de l’Institution de Droit International, s’est penché sur les impacts importants que représenterait une demande d’AC sur les changements climatiques. Bien qu’il ne soit pas contraignant, un AC délivré par la CIJ a un poids très élevé en ce qu’il explique et clarifie le contenu des règles de droit. Les États s’appuient alors sur ce que la CIJ déclare. L’orateur a donné l’exemple de l’avis consultatif de l’archipel des Chagos de 1965 sur les conséquences juridiques de la séparation de l’archipel du Royaume-Uni. Après l’AC, l’Assemblée générale (AG) de l’ONU a explicitement reconnu que le Royaume-Uni devait retirer ses forces de l’archipel. Nous pouvons donc reconnaître qu’un AC a des impacts réels et concrets. Le conférencier conclut en disant que si certaines questions sont très controversées, l’AC peut aider à clarifier une question et à donner une position et une interprétation officielles.
Jorge VINUALES de l’Université de Cambridge, a ensuite mis l’accent sur le processus sous- jacent conduisant à un AC. Il a souligné que le « changement climatique » en tant que concept unique ne peut être porté tel quel devant la Cour, car il s’agit d’un sujet très complexe qui doit être divisé en unités précises pour poser la question finale. Autrement dit, le cadre de la question et sa formulation constituent l’élément le plus complexe de la procédure. Le premier aspect à considérer est le contexte juridique et l’histoire des AOP. Il y a déjà eu un certain nombre de tentatives de porter la question du changement climatique devant la CIJ pour demander un AC. En mars 2002, la démarche n’a malheureusement pas abouti, et la même chose s’est produite en 2012 lorsque l’AC a été porté par les Palaos. Il est également nécessaire d’examiner les cas qui se sont présentés aux niveaux nationaux et locaux en matière de changement climatique pour analyser les tendances mondiales et les évolutions juridiques en la matière. Deuxièmement, c’est aussi une question de processus stricto sensu. Il existe un éventail d’organismes et d’agences qui peuvent demander à la Cour un AC, parmi lesquels l’AG de l’ONU qui a besoin d’une majorité simple pour réussir à faire passer l’AC à la CIJ. Enfin, le troisième point concerne les paramètres. L’AC traite de diverses questions juridiques. Un AC sur le changement climatique est fondé sur des preuves scientifiques sans précédent qui appuient le bien-fondé des démarches. La nécessité d’un AC trouve ses racines profondes dans la société civile et dans la sphère scientifique. La CIJ est la seule institution qui n’a pas encore traité du changement climatique et le temps est venu de le faire.